Le 2 janvier, dans un petit restaurant perdu au fin fond de la Camargue, un monsieur à moustaches, en pardessus (alors que l'habitude, dans les marais, est plutôt à l'anorak), suivi de quelques personnes, est entré et à demandé : "Saurions-nous nous installer près de la baie, s'il vous plaît ?".
Le verbe savoir l'a trahi.
Il faut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux.
C'est très utilisé en Belgique, mais cet usage a encore cours en France, bien que plus rarement et dans un sens plus retreint. Quand vous dites « On ne saurait traverser cette ville sans visiter son musée », le verbe savoir a ici le sens de on ne peut pas.
Dans sa première édition, le dictionnaire de l'Académie donnait ceci : Dans le temps du preterit, & dans ceux du subjonctif avec la negative, il signifie Ne pouvoir pas. Il n'a sceu en venir à bout. je le voudrois bien, mais je ne le scaurois. il ne scauroit se lever.
Et dans l'édition de 1932 : Dans le sens de Pouvoir, il s'emploie surtout avec le conditionnel et avec la négation ne. Je ne saurais faire ce que vous me dites. Ne sauriez-vous aller jusque-là ? On ne saurait avoir plus d'esprit.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
Cela me fait penser à l'emploi du verbe "oser" que j'ai remarqué en Lorraine, en place du verbe "devoir", dans des formules telles que "On n'ose pas !" qui est une interdiction formelle.
Ex. A l'adresse d'un enfant : "On n'ose pas prendre les bonbons tout seul !" = C'est strictement défendu.
Il faut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux.
Annie Cordy est la plus française des Bruxellois. Et savez-vous qu'il y a une différence entre Wallons et Bruxellois ? Pour nous ils sont tous belges, mais c'est un peu comme si vous disiez à un Écossais qu'il est anglais !
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
Parallèlement à cette acception du verbe savoir employé en Belgique dans le sens de pouvoir, il faut aussi préciser que le verbe pouvoir n'a pas non plus le même sens que pour les Français. Quand j'entendais un adulte dire à l'un de ses enfants : tu ne peux pas faire ceci, cela signifiait « tu n'as pas le droit, je te le défends ».
Autres différences de vocabulaire : la plante que nous appelons pissenlit est en Belgique de la chicorée. Ce que nous appelons chicorée se nomme endive, et notre endive française est chez nos voisins un chicon. Et je ne crois pas me tromper en disant que ce sont nos amis belges qui ont raison.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
Notre prof de français, qui était très pointilleux sur les belgicismes, tolérait "savoir" au lieu de "pouvoir" au conditionnel: "Je ne saurais pas vous répondre". Le dictionnaire de l'Académie, cité par Jacques, va dans le même sens.
Or, le client du restaurant camarguais dont parle Perkele a bien utilisé un conditionnel, et pourtant il a tout de suite été repéré comme Belge.
C'est peut-être le pardessus qui l'a trahi?
Passer pour un idiot aux yeux d'un imbécile est une volupté de fin gourmet (Courteline)
Savez-vous pourquoi les Français racontent toujours des histoires belges ? Parce que ce sont les seules qu'ils sont capables de comprendre.
Et comment fait un Belge pour s'enrichir ? Il achète des Français au prix qu'ils valent, et il les revend au prix auquel ils s'estiment.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
Je réfléchis et je ne parviens pas à trouver le critère qui fait que certaines fois cet emploi de savoir me parait naturel (je ne saurais dire ; on ne saurait se passer d'un bon maroilles...) et d'autres fois non.
Il faut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux.
On peut ne pas savoir quoi dire; on peut ne pas savoir comment se passer de fromage : le verbe "savoir" garde sa signification.
Pour ce qui est de s'installer prés d'une fenêtre dans un restaurant, l'accord du restaurateur suffit : il n'y a rien à savoir.
L’ignorance est mère de tous les maux.
François Rabelais
Hypothèse: "saurais" appartient en France à un niveau de langue assez élevé. Voyez vos exemples: "je ne saurais vous dire" est une variante plus recherchée de "je ne pourrais pas vous dire"; "on ne saurait traverser cette ville sans visiter son musée" est du français écrit, on ne le dirait pas couramment à l'oral.
C'est le contraire en Belgique: "Pourrions-nous nous installer près de la baie" est possible, mais est ressenti comme moins naturel que "Saurions-nous...".
Dès lors, la formule utilisée par ce client belge pourrait l'être aussi théoriquement par un Français, mais le fait qu'elle soit employée à l'oral et dans un contexte aussi banal est caractéristique d'un Belge (surtout si ajoute à cela le pardessus, la moustache, le "s'il-vous-plaît" et une bonne pointe d'accent!)
Passer pour un idiot aux yeux d'un imbécile est une volupté de fin gourmet (Courteline)
Perkele a écrit :Le 2 janvier, dans un petit restaurant perdu au fin fond de la Camargue, un monsieur à moustaches, en pardessus (alors que l'habitude, dans les marais, est plutôt à l'anorak), suivi de quelques personnes, est entré et à demandé : "Saurions-nous nous installer près de la baie, s'il vous plaît ?":
Je tiens à préciser que j'ai un alibi solide pour le 2 janvier! :D
Passer pour un idiot aux yeux d'un imbécile est une volupté de fin gourmet (Courteline)