Moi, mes souliers

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Jacques
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Moi, mes souliers

Message par Jacques »

Moi, mes souliers ont beaucoup voyagé,
Ils m’ont porté de l’école à la guerre
J’ai traversé sur mes souliers ferrés,
Le monde et sa misère.

Moi, mes souliers ont passé dans les prés,
Moi, mes souliers ont piétiné la lune,

*******************************
(Extraits d’une chanson du Québécois Félix Leclerc)

Une publicité, il y a quelques dizaines d’années, nous rabâchait : « Moi mes gencives c’est du béton ».

Je ne sais pas comment justifier mon sentiment, mais je ressens ce type de construction comme incorrect. Je comprends qu’on puisse dire : Moi, mes parents m’ont beaucoup gâté où la reprise se fait avec un verbe pronominal qui se rapporte à moi, ce qui aboutit d’ailleurs à une tautologie. Mais dans ces deux exemples il n’y a pas de lien.
On pourrait dire « mes souliers à moi » ou « mes gencives à moi » avec, d’ailleurs, encore une tautologie.
Je vois bien venir l’argument pour la chanson : licence de poète. Elle a bon dos. Je me rappelle, il y a plusieurs années j’avais cité cet extrait d’un poème de Lamartine (L’automne) :
Je suis d'un pas rêveur le sentier solitaire,
J'aime à revoir encor, pour la dernière fois,
Ce soleil pâlissant dont la faible lumière
Perce à peine à mes pieds l’obscurité des bois

************************************
Revoir encore (en orthographe moderne), cela ne fait pas de doute : pléonasme ! Mais Marco m’avait rétorqué qu’en poésie on pouvait se le permettre.
Pour revenir à mes moutons, je reste donc bloqué sur cette syntaxe qui me paraît saugrenue. J’aimerais connaître différents avis sur le sujet.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
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Jacques-André-Albert
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Message par Jacques-André-Albert »

Je ne trouve pas cette construction fautive. J'aurais pu écrire : moi, je ne trouve pas... Il me semble que c'est une façon de situer celui dont il est question dans l'affirmation qui suit.
- lui, il va vous la raconter mieux que moi. (exemple avec le pronom sujet)
- vous, vos enfants vous ont donné du fil à retordre.
- toi, ta bonté te perdra.
- eux et leurs rabâchages !
- nous, nos affaires sont prêtes.
Quand bien nous pourrions estre sçavans du sçavoir d'autruy, au moins sages ne pouvons nous estre que de nostre propre sagesse.
(Montaigne - Essais, I, 24)
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Claude
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Message par Claude »

Je dois manquer de sensibilité car je trouve superflus ces pronoms, sauf dans le cas d'un poème quand techniquement il est nécessaire d'ajouter une syllabe au vers comme dans la chanson de Félix Leclerc.
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Jacques
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Message par Jacques »

Dans les quatre premiers exemples, JAA, vous vous mettez dans la situation que j'ai évoquée où moi trouve sa suite naturelle avec la reprise du pronom. Je donnais l'exemple : Moi, mes parents m'ont beaucoup gâté. Nous sommes dans le même concept. Encore que je dirais plutôt pour le trois À vous vos enfants vous ont donné du fil à retordre. Mais nous sommes dans une logique de syntaxe. Mes gencives c'est du béton est plus régulier, sans le moi qui ne se justifie pas et ne se rapporte à rien.
Dans Moi mes gencives c'est du béton il y a rupture syntaxique.
Claude, d'une manière générale, trouve les pronoms superflus, donc redondants, ce qui mène à la tautologie, figure encore contestée que d'aucuns considèrent comme effet de style et d'autres assimilent au pléonasme, et que Littré définissait comme vice d'élocution. Mais elle est bien ancrée dans le langage, au moins familier.
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Jacques
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Message par Jacques »

Je n’ai pas été bien compris parce que je me suis mal exprimé. Je reprends.
Quand une phrase commence par moi, elle doit logiquement se poursuivre par je suivi d’un verbe à la première personne. Idem pour les autres pronoms : moi, je… ; toi, tu… ; lui, il… et ainsi de suite. Soit :
– Moi, mes gencives, je les masse régulièrement ;
– Toi, ta sœur, tu la protèges ;
– Lui, sa voiture, il l’a achetée chez un concessionnaire Citronnelle.
C’est une tautologie classique, avec insistance sur le pronom personnel. Je ne pense pas qu’on puisse dire :
– Moi, mes gencives, c’est du béton ;
– Toi, ta sœur a beaucoup de qualités ;
– Lui, sa voiture consomme peu.
Que viennent faire moi, toi, lui ? Quelle est leur fonction ? À mon avis ils n’en ont aucune. C’est d’autant plus insolite qu’on devrait dire « mes gencives à moi, ta sœur à toi, sa voiture à lui ». La syntaxe donne l’impression d’un accusatif alors que c’est un datif.
Ce sont, selon moi, des tournures populaires relâchées.
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Jacques-André-Albert
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Message par Jacques-André-Albert »

Que disent les ouvrages de référence à ce sujet ? Existe-t-il une règle ?
Il me semble que c'est une façon de mettre en scène celui, celle ou ceux ou celles dont il va être question. On peut remplacer ce pronom personnel par « en ce qui me (te, le, la, nous, etc) concerne ».
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Jacques
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Message par Jacques »

Je ne sais pas comment faire une recherche dans les livres didactiques. Il faut un mot clef et je ne vois pas trop lequel.
Je ne suis pas affirmatif sur la faute éventuelle, j'essaye de savoir et suis ouvert aux réflexions. Vous offrez des pistes qui donnent un caractère plausible à cette syntaxe.
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Jacques-André-Albert
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Message par Jacques-André-Albert »

La fonction grammaticale en question est l'apposition, et en l'occurence il s'agit de la forme tonique du pronom personnel.

Un exemple d'apposition chez Boileau, où l'on pourrait placer le pronom moi :

Philosophe à la raison soumis,
Mes défauts désormais sont mes seuls ennemis.
Quand bien nous pourrions estre sçavans du sçavoir d'autruy, au moins sages ne pouvons nous estre que de nostre propre sagesse.
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Jacques
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Message par Jacques »

Ce qui accréditerait donc le procédé. Je n'ai rien qui puisse nous éclairer sur les différentes appositions possibles suivant la nature des mots.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Je ne parviens pas à voir d'apposition dans

Philosophe à la raison soumis,
Mes défauts désormais sont mes seuls ennemis.

Une apposition désigne normalement la même réalité (concrète, abstraite, humaine ou animale) que le groupe nominal (substantif ou pronom) auquel elle se rapporte :

Philosophe à ses heures, mon père citait volontiers Platon. (mon père était un philosophe)
La province du Québec est officiellement francophone. (le Québec est une province)
Adolescent, j'ai beaucoup lu. (j'étais un adolescent)
Je cultive l'art d'être grand-père. (être grand-père est un art)

Dans les vers de Boileau, seuls deux mots (Philosophe [substantif] et mes [adjectif possessif]) font référence à la même personne. Or un adjectif possessif ne remplace pas le « possesseur », il précise seulement le lien entre ce dernier et l'« objet » possédé ; et surtout il n'admet pas d'apposition. Je ne peux remettre la phrase sur ses pieds, à l'instar de ce que vous avez proposé, JAA, qu'en la transformant ainsi :

En ce qui me concerne, moi le philosophe soumis à la raison, mes défauts...

Boileau s'interdisait-il l'anacoluthe ?
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Leclerc92
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Moi, mes souliers

Message par Leclerc92 »

Jacques-André-Albert a écrit : mar. 05 août 2014, 7:32Que disent les ouvrages de référence à ce sujet ? Existe-t-il une règle ?
Jacques-André-Albert a écrit : mar. 05 août 2014, 8:46 La fonction grammaticale en question est l'apposition, et en l'occurence il s'agit de la forme tonique du pronom personnel.
Ces formes étaient peu étudiées en grammaire traditionnelle, celle de notre enfance (je parle pour les anciens !). Nous les pensions reléguées au registre familier et les évitions.
Aujourd'hui, elles sont étudiées en classe et portent le beau nom de "dislocation à gauche", la dislocation étant avec l'extraction un visage de la forme emphatique. Comme le dit le Grevisse de l'enseignant : « La dislocation se traduit donc par un dédoublement, que la tradition expliquait en traitant le constituant détaché comme une apposition. »
Pour plus d'information, en très court :
https://fr.wiktionary.org/wiki/dislocat ... %A0_gauche
en très long :
https://journals.openedition.org/discours/9037
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