Ma question aurait pu trouver éventuellement sa place dans l'Histoire de la langue mais je la poste plutôt ici:
Si l'on joue sur l'étymologie du mot guère, est-il acceptable et compréhensible par un(e) érudit(e) de se voir dire:
"Je t'aime guère", en le sens de "Je t'aime beaucoup"?
(Je n'ai aucun doute sur le caractère absolument non-idiomatique de ma phrase, mais j'imagine ici un contexte proche de la poésie, où les archaïsmes sont acceptés au même titre que les autres mots.)
Guère vient du francique waigaro, « beaucoup ». Naguère est la contraction de il n'y a guère (il n'y a pas beaucoup), sous-entendu de temps. L'ancien français employait guère à la forme positive, comme dans votre exemple, mais ledit emploi est sorti de l'usage au XVIIIe siècle, et le mot ne s'est plus employé qu'avec la négation. Il souffre de la même incompréhension que d'autres mots à valeur positive comme rien (une certaine chose), personne (quelqu'un), jamais (à une certaine époque), qui ont pris dans l'esprit populaire une signification négative née de confusion.
Si vous dites « Je t'aime guère », en ressuscitant un archaïsme, vous ne serez pas compris : tout le monde entendra je te déteste, exprimé en français relâché qui escamote les négations.
Il y a ainsi des cas où, même si l'on est dans son bon droit, on ne peut pas faire admettre qu'on a raison.
Dernière modification par Jacques le lun. 25 juil. 2011, 9:23, modifié 1 fois.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
TSOS a écrit :Si l'on joue sur l'étymologie du mot guère, est-il acceptable et compréhensible par un(e) érudit(e) de se voir dire:
"Je t'aime guère", en le sens de "Je t'aime beaucoup"?
Est-ce que votre érudit comprendrait spontanément "je t'aime pas" et "je t'aime point" d'une manière positive ? Guère.
Et voici encore un mot ancien dont l'usage ,pis encore, s'est amusé à en faire son antonyme...ou presque .
Maupiteux (mal+piteux) signifiait d'Abord cruel , sans pitié avant de ne plus apparaître que dans l'expression "faire le mau-piteux" qui a fini par signifier faire son misérable . Le mot a fini par devenir synonyme de pitoyable , avant de passer aux oubliettes.
Jamais, qui signifie « à une époque quelconque », n'est pas ici, même au sens positif, employé conformément à l'étymologie :
– ja, le moment présent
– magis : davantage, ce qui devrait logiquement en faire un synonyme de dorénavant : d'ores, dès maintenant ; en avant : à l'avenir.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
Ceci me fait digresser et m'interroger sur "à jamais", qui est une expression signifiant "pour toujours", si je ne me trompe pas. Ou bien y a-t-il quelque nuance apportée justement? C'est drôle de voir ces deux expressions de même sens (je pense) bâties sur deux antonymes actuels: jamais et toujours...
À jamais veut bien dire « pour l'éternité ». Si on essaye d'analyser l'étymologie, c'est correctement interprété, puisque jamais, au sens absolu, veut dire « pour ce qui viendra après ». Voici une formule qui restitue à deux de ces mots, rien et jamais, leur sens positif d'origine : Avez-vous jamais rien vu de semblable ? Soit : Avez-vous à un moment quelconque vu quelque chose de tel ?
Si nous voulons approfondir les origines de ces mots, il y a bien des anomalies : déjà est la forme moderne de dès ja (dès le moment présent), ce qui ne colle pas avec le sens qu'il prend habituellement dans l'usage, puisque dès marque le départ d'une action qui se prolongera dans l'avenir, ou se situe dans l'avenir d'un moment passé, alors que déjà se prend plutôt avec l'idée de « avant maintenant ». Et ce maintenant, justement, est assez insolite puisqu'il veut dire absolument « pendant que je tiens ceci dans la main ».
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
Jacques a écrit :Guère vient du francique waigaro, « beaucoup ». Naguère est la contraction de il n'y a guère (il n'y a pas beaucoup), sous-entendu de temps. Il souffre de la même incompréhension que d'autres mots à valeur positive comme rien (une certaine chose) qui ont pris dans l'esprit populaire une signification négative née de confusion.
Dans mon patois ligurien ren <latin REM "chose" a une signification négative comme en français (nu mangiu ren "je ne mange rien") mais il a maintenu aussi la valeur positive dans l'expression caiche ren "quelque chose" (acatà caiche ren "acheter quelque chose").
Mon patois possède aussi gairi dans le même sens négatif du français guère.