PRÊT ET BON

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André (G., R.)
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PRÊT ET BON

Message par André (G., R.) »

On dit d'une voyageuse qu'elle est prête à partir, d'un élève qu'il est prêt à se mettre au travail, d'un citoyen qu'il est prêt à engager des poursuites. Dans ces trois exemples le verbe à l'infinitif aurait pour sujet, si on le conjuguait, le nom que qualifie l'adjectif "prêt" (la voyageuse part, l'élève se met au travail, le citoyen engage des poursuites).
Mais sont admises depuis longtemps les tournures "une boisson prête à déguster", "un plat prêt à manger", "un vêtement prêt à porter"... Le nom qualifié par "prêt" y est alors COD si l'on conjugue le verbe : On déguste la boisson, on mange le plat, on porte le vêtement. Il m'arrive de dire ou de souhaiter dire, pour respecter la logique du passif, que la boisson est prête à être dégustée, le plat prêt à être mangé, le vêtement prêt à être porté.
On constate la même évolution de l'adjectif "bon". "Une variété de pomme bonne à faire du cidre", "une affaire bonne à me causer des soucis", "un patron seulement bon à licencier du personnel" ne me posent aucun problème. Tandis que j'éprouve une gêne à entendre et dire "des piles bonnes à changer", "des pommes de terre bonnes à planter", "un fruit bon à manger". Peut-être à tort ?
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Jacques
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Message par Jacques »

Quand on parle de vêtements prêts à porter, de plats prêts à déguster, prêt signifie que ces objets (ou assimilés) n'ont pas besoin d'être arrangés, mais qu'ils sont utilisables sans préparation, puisque celle-ci a déjà été effectuée.
Je conçois bien l'idée.
Pour bon, l'Académie ne reconnaît que des sens favorables, heureux et bienveillants. Le « patron seulement ou tout juste bon à licencier du personnel » relève peut-être de l'antiphrase. Pour les piles bonnes à jeter, il y a effectivement un cas de conscience, si j'ose dire. Je le vois comme du style familier, un abus de langage qui prend des libertés avec le vocabulaire.
On trouve de même des objets « bons pour la poubelle », etc.
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cyrano
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Message par cyrano »

La remarque est intéressante, mais le cas n'est pas isolé. Cela me fait penser à l'indication "maison à vendre", qui devient "maison à acheter" dans les langues germaniques. C'est un peu différent, mais c'est aussi une question de point de vue, en quelque sorte (qui vend ou qui achète, qui mange ou qui est mangé).

Je pense qu'il y a d'autres exemples dans le genre, mais ils ne me viennent pas à l'esprit.
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Jacques
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Message par Jacques »

L'exemple le plus typique, Cyrano, est celui de l'hôte qui est, soit celui qui reçoit, soit celui qui est reçu. Il y a aussi le verbe louer, qui signifie aussi bien prendre en location que mettre en location : ainsi, le propriétaire loue son appartement, et celui qui paye pour en avoir la jouissance le loue également.
En anglais nous avons deux verbes, selon le sens : to rent et to hire. C'est plus logique.
Dernière modification par Jacques le ven. 28 juin 2013, 12:38, modifié 1 fois.
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GB-91
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Message par GB-91 »

J'ai souvent signé des BAT, "bon à tirer". Et l'expression ne date pas d'hier.
On devrait dire et écrire "bon pour tirer" (pour être tiré).
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Klausinski
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Message par Klausinski »

J'ai commencé à écrire un long paragraphe où je disais que ces expressions, avec prêt ou bon, ne me paraissaient pas relever du bon usage, puis j'ai décidé d'aller chercher des exemples sur Google livre, ce que j'aurais dû faire en premier lieu. Il y a tellement d'exemples, chez les auteurs classiques, de fruits ou de légumes prêts ou bons à manger, à cueillir, à couper, de livres bons à garder, etc., que je ne peux plus, en conscience, dire que ces tournures me semblent maladroites. Il faudrait trouver ce qu'en dit Grevisse, si toutefois il en dit quelque chose.
Dernière modification par Klausinski le jeu. 27 juin 2013, 12:36, modifié 1 fois.
« J’écris autrement que je ne parle, je parle autrement que je ne pense, je pense autrement que je ne devrais penser, et ainsi jusqu’au plus profond de l’obscurité. »
(Kafka, cité par Mauriac)
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Anne
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Message par Anne »

Du coup, une « maison à louer » met tout le monde d'accord, le verbe étant le même pour les points de vue des deux parties.
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Jacques-André-Albert
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Message par Jacques-André-Albert »

C'est aussi le cas de la chambre d'hôte.
Quand bien nous pourrions estre sçavans du sçavoir d'autruy, au moins sages ne pouvons nous estre que de nostre propre sagesse.
(Montaigne - Essais, I, 24)
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Mon problème ne concerne pas « bon » ou « prêt » en tant que tels, mais les infinitifs qui les complètent. Accepter sans aucune explication que ces infinitifs compléments actifs prennent un sens passif m’étonne de la part des lexicographes et de certains auteurs, je ne vois pas de quel droit ils ont entériné cet usage qui a dû être ressenti d’abord comme fautif : d’habitude « manger » ne signifie pas « être mangé », or cela est le cas après « bon » et« prêt ».
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Jacques
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Message par Jacques »

Les définitions et exemples de l'Académie ne comprennent pas cet usage de dire bon à... suivi d'un verbe. Le Petit Robert ne mentionne pas non plus cette tournure, mais il admet bon à tirer.
Il y a quand même une piste chez Littré :
7° Propre à. Manteau bon pour toutes les saisons. Terrain bon pour la vigne. Eau bonne à boire. Bon à manger. Moisson bonne à couper. Homme qui est bon à tout. Homme qui n'est bon à rien. Une telle maxime n'est bonne qu'à détruire l'amitié. Toute vérité n'est pas bonne à dire. En vain nous appelons mille gens à notre aide, Plus ils sont, plus il coûte, et je ne les tiens bons Qu'à manger leur part des moutons, LA FONT. Fabl. XI, 1. Ah ! maudit animal [chien] qui n'es bon qu'à noyer ! Que n'avertissais-tu dès l'abord du carnage ? ID. ib. II, 3. Quel chagrin pour moi de ne vous être bonne à rien ! SÉV. 415. Je la trouve bonne contre la tristesse, ID. 226. Et toute médecine à tout mal n'est pas bonne, RÉGNIER, Sat. I. [La richesse] Quand elle vient sans les grandeurs, Est bonne à quelque chose, BÉRANGER, Éloge de la richesse. La vertu même.... c'est une bizarrerie d'humeur.... un parti bon à quelque chose, quand on n'est plus soi-même bon à rien, MASS. Profession religieuse, sermon 1.
    Familièrement. Refuser ce qu'on donne est bon à faire aux fous, MOL. Dép. am. I, 2.
    C'est bon à vous d'agir et de parler ainsi, il vous convient particulièrement de, etc.
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André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Les exemples de Littré qui m’intéressent sont « Eau bonne à boire », « Bon à manger », « Moisson bonne à couper », « Une telle maxime n’est bonne qu’à détruire l’amitié », « toute vérité n’est pas bonne à dire » et « Ah, maudit animal qui n’es bon qu’à noyer ! ». (Je laisse de côté « C’est bon à vous d’agir et de parler ainsi… », où « agir » et parler » sont introduits par « de » et non par « à » et sont davantage compléments du verbe « être bon » que de l’adjectif « bon »).
L’eau ne boit rien, elle est bue (PASSIF) ; ce qui est bon à manger ne mange pas, c’est ou ce sera mangé (PASSIF) ; une moisson bonne à couper ne coupe rien, elle sera coupée (PASSIF); une vérité bonne à dire ne dit rien, elle est dite (ou non !) (PASSIF) ; un animal qui n’est bon qu’à noyer ne noie personne, il est éventuellement noyé par ses maîtres (PASSIF). Tandis qu’une maxime bonne à détruire l’amitié détruira (ACTIF) éventuellement cette amitié.
J’ai beaucoup de mal à admettre que même Littré ne semble donner aucune explication sur cette possibilité qu’il accepte de voir « bon à » introduire indifféremment des infinitifs actifs à valeur active et d’autres à valeur passive.
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Jacques
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Message par Jacques »

Cette formulation ne semble pas déranger les spécialistes, étant donné qu'aucun ne l'explique. Littré se contente de dire qu'elle correspond à propre à. Je dois dire qu'elle ne me dérange pas non plus, et je n'ai pas d'arguments pour la condamner ou la défendre, mais mes compétences en matière de français ne me le permettent pas, de toute façon.
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André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

"Ah, maudit animal qui n'es bon qu'à noyer !" me paraît bien illustrer ce sur quoi je me questionne. Acceptons-nous "Ah, maudit animal qui n'es bon qu'à être noyé " ? Je ne vois aucune raison de le refuser. Faut-il en déduire que "noyer" et "être noyé" sont synonymes ?!
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Jacques
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Message par Jacques »

Dans un tel cas oui. Cette situation doit bien avoir un nom, il nous faudrait un spécialiste pour nous le donner s'il existe.
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Klausinski
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Message par Klausinski »

Apparemment, on parle de cette tournure dans l'Encyclopédie du bon français de Dupré. Voyez ici. Il est dit que le verbe actif peut être remplacé par un passif. Plusieurs références sont données mais je ne possède pas ce livre. Si vous avez accès à une bibliothèque universitaire, André, vous devriez y trouver votre bonheur, à la 300e page du livre de Dupré. Ce n'est malheureusement plus mon cas, dans ma campagne.
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