Pléonasme ou pas ?

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Jacques
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Pléonasme ou pas ?

Message par Jacques »

Sur une boîte de sel, je lis cette inscription : nature sauvage.
J’ai du mal à comprendre à quoi cela correspond, et quel est le rapport avec la denrée contenue, mais peu importe ; ce qui m’intéresse, c’est le vocabulaire. L’adjectif sauvage est issu du latin silvaticus, « qui se rapporte à la forêt », et selon Alain Rey : « En parlant des végétaux, qui est à l’état de nature ».
En me reportant à l’Académie et à Littré, « Se dit des animaux qui vivent en liberté dans les bois, les déserts, les rivières, etc. » Les extensions de sens se rapportent à des peuplades vivant en dehors de la civilisation, se nourrissant de chasse, pêche et cueillette.
Le petit Robert fait une synthèse : « Qui vit en liberté dans la nature ».
Dans les sens propres du mot, l’idée de nature est omniprésente. Nature sauvage est donc, selon moi, un pléonasme, comme le serait, par exemple, nuit nocturne. Mais tout le monde n’est peut-être pas de cet avis.
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jarnicoton
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Message par jarnicoton »

Ce qui était la nature tendant à être de plus en plus jardiné (et la nuit de plus en plus éclairée), "nature sauvage" veut presque dire quelque chose.
Koutan
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Message par Koutan »

On peut éventuellement prendre le mot nature dans son sens "ensemble des traits qui constituent la personnalité d'un être", et donc ce sel aurait un caractère sauvage. Sinon, ça sent assez le pléonasme. Quoiqu'il en soit, il vaut mieux le prendre avec des pincettes.
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Islwyn
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Message par Islwyn »

J'aurais horreur d'un sel marqué « nature sauvage ». Pour la bonne raison que j'aurais peur qu'il ne me griffe les narines si j'en saupoudrais mes légumes. Pour le « sel marin », je ne m'en offusque pas.
Quantum mutatus ab illo
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Jacques
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Message par Jacques »

Koutan a écrit :On peut éventuellement prendre le mot nature dans son sens "ensemble des traits qui constituent la personnalité d'un être", et donc ce sel aurait un caractère sauvage. Sinon, ça sent assez le pléonasme. Quoi qu'il en soit, il vaut mieux le prendre avec des pincettes.
C'est une idée qui se défend.
Quant à prendre le sel avec des pincettes, je vous laisse essayer :D
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André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

La nature (!) pléonastique de l'expression est claire sous l'angle étymologique. Mais les emplois figurés du mot nature et des expressions comme "un petit coin de nature" ont peut-être fait oublier que la nature est sauvage par définition. Je crois bien que je n'aurais pas débusqué seul ce pléonasme.
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Jacques
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Message par Jacques »

Oui bien sûr, l'étymologie est la clef ; l'origine du mot sauvage ne se révèle pas dans sa forme. Bien des fautes dans l'usage du vocabulaire sont dues à une méconnaissance de la source. Prenons par exemple cet adjectif pédagogique que j'ai encore entendu ce soir aux informations, en parlant d'une formation qui s'adresse à des adultes. C'est absurde, nous savons qu'il est formé sur la racine grecque paidos, « enfant » et que c'est donc l'art d'enseigner à des enfants. Et ce terme impropre est repris à qui mieux mieux à la place de didactique.
Quand on porte un peu d'intérêt à l'étymologie, on évite de verser dans l'impropriété grossière.
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Karl d'Aulnay
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Message par Karl d'Aulnay »

Peut-être voulait-on mettre en évidence la facilité de la formation. Je vois une nuance entre un enseignement pédagogique (dont la forme est assez simple pour être comprise, même par les plus jeunes) et un enseignement didactique.

Le sens de didactique a d'ailleurs légèrement dévié, il a une notion d'exhaustivité, de systématisme et de méthode.
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Jacques
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Message par Jacques »

Non, on entend trop souvent cette mauvaise utilisation pour que ce soit une intention réductrice. Il n'y a pas de différence de sens, de degré entre pédagogique et didactique. On ne peut pas appliquer pédagogique à des adultes puisqu'il y a la racine « enfant ».
Les définitions de l'Académie sont claires :
PÉDAGOGIE n. f. XVe siècle. Emprunté du grec paidagôgia, « direction, éducation des enfants », dérivé de paidagôgos, « pédagogue », lui-même composé à l'aide de pais, paidos, « enfant », et agein, « conduire ».
Instruction, éducation des enfants ; ensemble de procédés employés pour les instruire et les former en fonction de certaines fins morales et sociales.

DIDACTIQUE adj. XVIe siècle. Emprunté du grec didaktikos, « propre à instruire, didactique ».
1. Qui est destiné à instruire. Un ouvrage didactique. La poésie didactique. Le genre didactique. Une exposition didactique. 2. Qui est propre à l'enseignement ; qui appartient à l'enseignement. Des procédés didactiques.

Je suis étonné de constater qu'on me conteste toujours cette différence de vocabulaire, pourtant justifiée par l'étymologie, et confirmée par Littré et l'Académie. C'est clair et net : didactique n'est pas un mot savant, d'un degré supérieur. La didactique peut très bien s'appliquer à une initiation de base, élémentaire.
Faut-il en déduire que la plupart des francophones s'accrochent à leurs erreurs et refusent de s'en corriger ? C'est par ce genre d'obstination que la langue se dégrade de plus en plus.
Il n'y a pas de honte à reconnaître qu'on s'est trompé ; on ne s'abaisse pas, on se grandit. Quand je m'en suis rendu compte, j'ai humblement fait amende honorable (moralement s'entend), et je me suis corrigé.
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André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Il ne faudrait toutefois pas donner à penser, Jacques, que l'étymologie explique tout et que les mots doivent systématiquement garder leur sens d'origine : "chef", "instituteur", "fou", "jovial" et quantité d'autres vocables d'origine latine se sont beaucoup éloignés des acceptions de leurs ancêtres : "caput", la tête, "instituo", je mets sur pied, "follis", ballon, "jovialis", né sous la planète Jupiter.
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Jacques
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Message par Jacques »

Je n'affirme pas que l'étymologie est souveraine. Il y a les évolutions de sens, et les inévitables sens figurés, mais dans un cas aussi évident que celui-ci il y a une impropriété étymologique. Je reviens à ce que je disais : je n'ai jamais réussi à faire admettre la justesse de mon raisonnement au sujet de cette pédagogie à laquelle tout le monde s'accroche sans vouloir lâcher prise. C'est un peu à dessein que j'ai cité pédagogie, parce que je me doutais qu'une fois de plus on m'opposerait de la résistance. Ce n'est pas du masochisme, je veux juste voir si un jour quelqu'un voudra bien admettre le bien-fondé du raisonnement.
Dans le cas de chef, à l'origine caput « tête », l'évolution est parfaitement logique et fidèle à l'étymologie : le chef, ou le capitaine, c'est celui qui est en tête ; le chef-d'œuvre, c'est un travail de chef, de quelqu'un qui a atteint le summum dans sa spécialité ; le couvre-chef, c'est ce qui coiffe la tête (le chef) ; le capuchon idem.
Il existe plus d'une soixantaine de dérivés, qui de proche en proche se sont éloignés en apparence de l'origine, mais pas une seule impropriété aussi flagrante.
Et cette opposition que je rencontre au sujet de la pédagogie se manifeste également quand je dis que dans racisme il y a race, que c'est un rejet dû aux origines ethniques et seulement cela. Il y a des multitudes de gens qui trouvent normal qu'on parle de « racisme antijeunes », de racisme envers certaines catégories sociales ou professionnelles, de racisme envers les malades du SIDA (oui je l'ai entendu), etc. Et je retrouve la même obstination, le même refus d'accepter le mot ostracisme qui s'applique à ces situations.
Ces refus de l'évidence sont assez décourageants quand on est dans un milieu où les gens se targuent de vouloir défendre la pureté du français.
Je reprends la devise de notre association (DLF) : Ni purisme ni laxisme. Je ne suis pas un fanatique puriste, mais dans ces cas (il en existe d'autres), c'est bel et bien du laxisme.
Dernière modification par Jacques le mer. 04 déc. 2013, 10:57, modifié 1 fois.
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Koutan
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Message par Koutan »

Rassurez-vous, Jacques, j'adhère pleinement à votre façon d'entendre ces deux mots et je pense n'être pas seul à le faire. En même temps, très heureux que vous m'ayez ouvert les yeux sur la racine de pédagogique, je comprends mieux aujourd'hui la destination des fameux radars ainsi nommés. :lol:
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Jacques
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Message par Jacques »

Ah, mais voilà un automobiliste discipliné et conscient de ses devoirs.
Vous méritez la bénédiction de saint Christophe. :D
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Claude
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Message par Claude »

Jacques a écrit :[...] Dans le cas de chef, à l'origine caput « tête », l'évolution est parfaitement logique et fidèle à l'étymologie : le chef, ou le capitaine, c'est celui qui est en tête ; le chef-d'œuvre, c'est un travail de chef, de quelqu'un qui a atteint le summum dans sa spécialité ; le couvre-chef, c'est ce qui coiffe la tête (le chef) ; le capuchon idem. [...]
N'oublions pas le cap comme dans l'expression « De pied en cap ». :wink:
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André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Allez savoir pourquoi : pour la pédagogie, je suis moins gêné que vous, Jacques, par son glissement de sens dans certains de ses emplois actuels, tandis que je vous suis totalement pour le racisme. Suivi d'un composé commençant par "anti" ce mot me gêne d'ailleurs indépendamment de son impropriété, du simple fait qu'on est alors à mi-chemin du pléonasme (rejet, hostilité exprimés par les deux mots). "Attitude", "sentiment", à la rigueur "préjugé", suivis, pour votre exemple, d'"anti-jeunes", me semblent parfaitement adaptés. Pour ceux qu'"ostracisme" rebuterait, il y a aussi "hostilité" (envers les jeunes).
Dernière modification par André (G., R.) le mer. 04 déc. 2013, 11:02, modifié 1 fois.
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