J’ai sursauté en lisant cette phrase là où l’on ne s’attendrait pas à une telle construction : « Aussi insolite que puisse nous sembler cette expression… »
Les personnes averties connaissent la différence entre aussi, comparatif d’égalité, et si, adverbe d’intensité : l’excès de chaleur est aussi pénible que l’excès de froid, le ciel est aussi gris ce matin qu’hier… Il était si ému qu’il en bégayait, la pente est si raide que j’ai des douleurs dans les mollets…
La phrase devait donc s’écrire Si insolite que puisse nous sembler cette expression…
Dans la 8e édition de son dictionnaire, l’Académie expliquait à aussi : Le second terme de comparaison peut être sous-entendu. Comment un homme aussi sage (qu'il l'est) a-t-il fait une pareille faute ?
Dans la 9e elle garde la même phrase mais ne justifie plus rien, ne parle plus de sous-entendu, et donne purement et simplement aussi comme synonyme de tellement. Et elle écrit : Suivi du subjonctif. Exprime un degré extrême (on dit plutôt Si, Pour, Quelque). Aussi surprenant que cela puisse paraître, c'est la vérité.
« On dit plutôt » laisse place à un choix : elle ne déconseille pas la forme douteuse et l’accepte comme possible. Pire : son dernier exemple encourage l’erreur.
Girodet est plus net : « Au sens de tellement, l’emploi de SI est obligatoire. » Il ajoute une précision utile : « Dans une comparaison d’égalité à la forme interrogative ou négative, on peut remplacer aussi par si : Il n’est pas si (ou aussi) fort qu’on le dit ». Le Dictionnaire des difficultés de Robert a la même position à ce sujet et précise que « dans la proposition concessive, le tour avec SI est considéré comme le plus correct : Si puissants que nous devenions un jour, si lourde que se fasse l’idée sur le monde, si dures, si précises […] que soient son organisation et sa police… »
Pièges et difficultés de Larousse n’envisage pas, dans les cas qu’il traite et les exemples qu’il donne, que l’on puisse employer aussi à la place de si : avec un si joli minois, elle ne manque pas de prétendants ; qui aurait pu penser cela d’un homme si estimé ?
Grevisse, dans son Précis de grammaire française, à la rubrique Si, aussi, établit bien la différence avec deux exemples qui se suivent :
– Une femme si sage, si estimée, qui parle si bien
– Une femme aussi sage, aussi estimée qu’elle, qui parle aussi bien que personne.
C’est donc une affaire de niveau de langue : aussi appartient au style relâché, et si au registre soigné.
Si et aussi
- Jacques
- Messages : 14475
- Inscription : sam. 11 juin 2005, 8:07
- Localisation : Décédé le 29 mai 2015, il était l'âme du forum
Si et aussi
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
- Jacques-André-Albert
- Messages : 4645
- Inscription : dim. 01 févr. 2009, 8:57
- Localisation : Niort