Boucher de cheval

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Jacques
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Boucher de cheval

Message par Jacques »

J'ai exhumé de mes archives cet article que j'avais publié il y a vingt ans. J'espère qu'il vous fera sourire :

Il y a des limites aux libertés qu’on peut prendre avec le français. Par exemple, je m’esclaffe lorsque j’entends parler, à la télévision, d’un coureur automobile. Avez-vous déjà vu un homme « doté d’un moyen de propulsion à moteur lui permettant de se déplacer sans aide extérieure » ? Ce n’est pas le conducteur qui est automobile, c’est son véhicule. Faut-il dire
alors « coureur d’automobile » ? Voyons, on ne désigne pas quelqu’un comme « coureur de voitures » de la même façon qu’on dirait « il est coureur de filles » ; vous saisissez ?
Et notre marchand de viande, dans tout cela ? Justement, un boucher ne peut pas être de cheval par la raison qui fait qu’une porte, elle, peut être de garage. Cette porte, elle fait partie du garage, s’intègre à lui et, si elle était absente, il ne serait pas ce qu’il est. Notre homme, lui, ne s’intégrera jamais au cheval, et ce dernier se portera certainement mieux sans boucher.
– Pardon, et boucher chevalin ?
– Sûrement pas, car chevalin veut dire « qui tient du cheval ». Représentez-vous ce malheureux commerçant avec une tête allongée, deux énormes narines et de petites oreilles pointues qui se tournent en tous sens !
– Alors, comment s’en tirer ?
– Devant un cas embarrassant, on fait comme les médecins : on a recours au grec. Le grec ne guérit pas les maladies, mais il leur donne de la noblesse. La médecine s’avoue incapable de soigner le rhume, mais en le nommant catarrhe elle le sort de sa banalité, de même qu’en baptisant la diarrhée gastro-entérite elle élève le dérangement intestinal au rang de phénomène scientifique.
Revenons à nos moutons, c’est-à-dire au cheval (le français est une langue étonnante). Et le boucher ? Oui, le boucher, eh bien il est HIPPOPHAGIQUE. Vous imaginez-vous rencontrant votre voisine au coin d’une rue, et lui disant Je viens de la boucherie hippophagique ? Pour ma part, gêné d’être un jour, peut-être, exposé à passer pour pédant en étalant ainsi ma science linguistique en pleine voie publique, je préfère esquiver la difficulté en consommant... de la pintade !
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Excellent, votre article.
J'observe que le boucher, s'il n'est jamais de cheval, peut être à cheval, y compris sur les principes !
Sur un autre fil nous parlions de l'usage, notion dont on se sert parfois pour expliquer des faits de langue échappant à toute règle : il est sans doute en train d'imposer "boucherie chevaline".
"Hippophagique" me semble avoir très peu de chances de se répandre, n'étant pas susceptible d'être abrégé, à la différence de "gastro-entérite" devenu "gastro" : "boucherie hippo" évoquerait davantage l'hippopotame que le cheval !
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Klausinski
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Message par Klausinski »

Votre texte est bien trouvé, Jacques.
André (G., R.) a écrit :il est sans doute en train d'imposer "boucherie chevaline"
J'ai l'impression d'avoir toujours entendu « boucher chevalin », il faut dire que mon grand-père était boucher et qu'il vendait du cheval. Ce cas rappelle ceux de chirurgien esthétique, chirurgien cardiaque, malade imaginaire, querelle amoureuse, critique dramatique, enquête criminelle, débile profond, etc. Certaines de ces expressions sont vieilles de plusieurs siècles.
« J’écris autrement que je ne parle, je parle autrement que je ne pense, je pense autrement que je ne devrais penser, et ainsi jusqu’au plus profond de l’obscurité. »
(Kafka, cité par Mauriac)
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Jacques
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Message par Jacques »

Vous avez bien compris qu'il n'y a là rien de sérieux, et que mon objectif était purement humoristique. J'ai quand même vu, je ne me rappelle plus où, une boucherie dont l'enseigne était « Les hippophages ». C'est cela qui m'avait inspiré la publication de mon texte.
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Islwyn
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Message par Islwyn »

Tout le monde a oublié la boucherie chevaline de Versailles dont le propriétaire s'appelait fièrement « Beaudet »...
Quantum mutatus ab illo
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