Ne pas se soucier : un doute
- Islwyn
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Ne pas se soucier : un doute
Dans le conte éponyme de La Maison Tellier de Maupassant (lui encore), je tombe sur la phrase suivante :
« Mais, l'époque de la communion approchant, Madame éprouva un grand embarras. Elle n'avait point de sous-maîtresse, et ne se souciait nullement de laisser sa maison, même pendant un jour. »
Or, le sens de la phrase est bel et bien « se faisait un souci de », c'est-à-dire que Madame s'inquiétait justement de quitter sa maison (close), fût-ce pour une seule journée.
Est-ce que j'ai mal compris, et est-ce que Maupassant se sert de cette formulation négative dans un sens positif ?
« Mais, l'époque de la communion approchant, Madame éprouva un grand embarras. Elle n'avait point de sous-maîtresse, et ne se souciait nullement de laisser sa maison, même pendant un jour. »
Or, le sens de la phrase est bel et bien « se faisait un souci de », c'est-à-dire que Madame s'inquiétait justement de quitter sa maison (close), fût-ce pour une seule journée.
Est-ce que j'ai mal compris, et est-ce que Maupassant se sert de cette formulation négative dans un sens positif ?
Quantum mutatus ab illo
- Jacques
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L'Académie française nous donne un indice permettant d'affirmer que ne pas se soucier de peut signifier les deux :
– soit ne pas craindre, ne pas redouter
– soit ne pas vouloir, refuser de
SE SOUCIER. v. S'inquiéter, se mettre en peine de quelque chose, prendre intérêt à quelque chose, faire cas de quelque chose. De quoi vous souciez-vous ? Il se soucie peu de conserver ses amis, et il se soucie beaucoup de conserver son argent.
On trouve chez Littré :
– Se soucier, v. réfl. Avoir de l'inquiétude. Quand Cupidon, qui me vit pâle et triste, Me dit : pourquoi te soucier ?
– Particulièrement. Avoir souci de, prendre intérêt à.
L'Académie cite les divers sens l'un derrière l'autre, alors que Littré les classe en les distinguant.
Ici donc : « Mais, l'époque de la communion approchant, Madame éprouva un grand embarras. Elle n'avait point de sous-maîtresse, et ne se souciait nullement de laisser sa maison, même pendant un jour. » il faut comprendre « n'avait certainement pas envie ».
– soit ne pas craindre, ne pas redouter
– soit ne pas vouloir, refuser de
SE SOUCIER. v. S'inquiéter, se mettre en peine de quelque chose, prendre intérêt à quelque chose, faire cas de quelque chose. De quoi vous souciez-vous ? Il se soucie peu de conserver ses amis, et il se soucie beaucoup de conserver son argent.
On trouve chez Littré :
– Se soucier, v. réfl. Avoir de l'inquiétude. Quand Cupidon, qui me vit pâle et triste, Me dit : pourquoi te soucier ?
– Particulièrement. Avoir souci de, prendre intérêt à.
L'Académie cite les divers sens l'un derrière l'autre, alors que Littré les classe en les distinguant.
Ici donc : « Mais, l'époque de la communion approchant, Madame éprouva un grand embarras. Elle n'avait point de sous-maîtresse, et ne se souciait nullement de laisser sa maison, même pendant un jour. » il faut comprendre « n'avait certainement pas envie ».
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
- Islwyn
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Merci !
Bizarrement, maintenant que j'y pense, une pareille situation survient aussi en anglais :
« she had no care about leaving... » = « elle ne s'inquiétait pas du tout de quitter... », et
« she didn't care to leave... » = « elle ne voulait pas / elle refusait de / quitter... ».
Les deux expressions jouent sur l'ambiguïté de « care », tout comme cela arrive dans l'emploi de « ne pas se soucier de ».
Bizarrement, maintenant que j'y pense, une pareille situation survient aussi en anglais :
« she had no care about leaving... » = « elle ne s'inquiétait pas du tout de quitter... », et
« she didn't care to leave... » = « elle ne voulait pas / elle refusait de / quitter... ».
Les deux expressions jouent sur l'ambiguïté de « care », tout comme cela arrive dans l'emploi de « ne pas se soucier de ».
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- Jacques-André-Albert
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- Ernest de la Coquecigrue
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Je ne retrouve pas dans ces définitions le sens que l'on a dans l'extrait de La Maison Tellier. Si je comprends correctement cet exemple de l'Académie : Il se soucie peu de conserver ses amis, et il se soucie beaucoup de conserver son argent, la personne ne tient pas à garder ses amis, mais elle tient à conserver son argent. On est dans le sens le plus courant de « se soucier » : prendre intérêt à, avoir la préoccupation de.Jacques a écrit :SE SOUCIER. v. S'inquiéter, se mettre en peine de quelque chose, prendre intérêt à quelque chose, faire cas de quelque chose. De quoi vous souciez-vous ? Il se soucie peu de conserver ses amis, et il se soucie beaucoup de conserver son argent.
On trouve chez Littré :
– Se soucier, v. réfl. Avoir de l'inquiétude. Quand Cupidon, qui me vit pâle et triste, Me dit : pourquoi te soucier ?
– Particulièrement. Avoir souci de, prendre intérêt à.
L'Académie cite les divers sens l'un derrière l'autre, alors que Littré les classe en les distinguant.
Le sens que l'on a dans la citation rapportée par Islwyn, et que je ne connaissais pas, je ne le trouve que dans le Grand Robert :
- (1559). Ne pas se soucier de…, que… : se soucier de ne pas…; ne pas tenir à…, ne pas désirer, n'avoir guère envie de…, craindre de…
- — Il était certain que maman ne reprendrait pas connaissance, de sorte que je ne me souciai pas d'appeler mes tantes auprès d'elle ; j'étais jaloux de rester seul à la veiller. (Gide, Si le grain ne meurt)
— Personne ne se soucie de se faire repérer, en ce moment. On se terre (…) À la Préfecture, à l'Intérieur, ils tendent déjà leurs filets (…) (Martin du Gard, les Thibault)
— Il préparait ainsi le terrain, donnait par avance les raisons de l'insuccès de ses molles démarches. Car il ne se souciait pas de perdre son crédit à recommander avec chaleur ce parent incapable, et si peu reluisant. (Montherlant, Les Célibataires)
- Islwyn
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- Localisation : Royaume-Uni (décédé le 9 mars 2018)
Voir aussi TLFi s.v. « soucier » :
Ne pas se soucier de + inf. Ne pas se préoccuper de, n'avoir pas envie de. Sachant qu'il existe au monde une femme accomplie, je ne me soucie pas d'épouser Mlle Danglars (DUMAS père, Monte-Cristo, t. 2, 1846, p. 124). On ne s'était pas soucié de les attendre (POURRAT, Gaspard, 1930, p. 207).
La définition du GR et ses exemples sont, il est vrai, plus parlants.
Ne pas se soucier de + inf. Ne pas se préoccuper de, n'avoir pas envie de. Sachant qu'il existe au monde une femme accomplie, je ne me soucie pas d'épouser Mlle Danglars (DUMAS père, Monte-Cristo, t. 2, 1846, p. 124). On ne s'était pas soucié de les attendre (POURRAT, Gaspard, 1930, p. 207).
La définition du GR et ses exemples sont, il est vrai, plus parlants.
Quantum mutatus ab illo
- Jacques
- Messages : 14475
- Inscription : sam. 11 juin 2005, 8:07
- Localisation : Décédé le 29 mai 2015, il était l'âme du forum
Madame éprouva un grand embarras. Elle n'avait point de sous-maîtresse, et ne se souciait nullement de laisser sa maison, même pendant un jour.
Ernest, vous n’êtes pas d’accord pour admettre que la définition de l’Académie « prendre intérêt à quelque chose, faire cas de quelque chose » justifie l’interprétation de la phrase avec le sens de n’avait pas du tout envie de… n’acceptait nullement de… qui semble être ce que voulait dire l’auteur.
Soit, c’est ambigu, cela peut donner lieu à interprétation. Mais pour moi celle de Littré ne laisse guère place au doute :
– Je ne me soucie pas, il ne me plaît pas, il ne me convient pas. Je ne me soucie point de lire Télémaque.
Celle-ci colle parfaitement.
Ernest, vous n’êtes pas d’accord pour admettre que la définition de l’Académie « prendre intérêt à quelque chose, faire cas de quelque chose » justifie l’interprétation de la phrase avec le sens de n’avait pas du tout envie de… n’acceptait nullement de… qui semble être ce que voulait dire l’auteur.
Soit, c’est ambigu, cela peut donner lieu à interprétation. Mais pour moi celle de Littré ne laisse guère place au doute :
– Je ne me soucie pas, il ne me plaît pas, il ne me convient pas. Je ne me soucie point de lire Télémaque.
Celle-ci colle parfaitement.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
-
- Messages : 7437
- Inscription : dim. 17 févr. 2013, 14:22
Le point de langue que vous nous avez soumis, Islwyn, est passionnant et ardu.
Vous avez indiqué, Ernest, que le Grand Robert propose ne pas désirer pour expliquer ne pas se soucier de. Sachant que la démarche n'est possible qu'avec la négation, j'essaie dans les citations qui précèdent de remplacer se soucier de par désirer ou souhaiter :
Je ne me souciai pas d'appeler mes tantes équivaut-il à Je ne souhaitai pas appeler mes tantes ?
Je ne me soucie point de lire Télémaque est-il synonyme de Je ne désire point lire Télémaque ?
On ne s'était pas soucié de les attendre se dirait-il aujourd'hui On n'avait pas souhaité les attendre ?
... et ne se souciait nullement de laisser sa maison vaut-il ... et ne souhaitait nullement laisser sa maison ?
Vous avez indiqué, Ernest, que le Grand Robert propose ne pas désirer pour expliquer ne pas se soucier de. Sachant que la démarche n'est possible qu'avec la négation, j'essaie dans les citations qui précèdent de remplacer se soucier de par désirer ou souhaiter :
Je ne me souciai pas d'appeler mes tantes équivaut-il à Je ne souhaitai pas appeler mes tantes ?
Je ne me soucie point de lire Télémaque est-il synonyme de Je ne désire point lire Télémaque ?
On ne s'était pas soucié de les attendre se dirait-il aujourd'hui On n'avait pas souhaité les attendre ?
... et ne se souciait nullement de laisser sa maison vaut-il ... et ne souhaitait nullement laisser sa maison ?
- Ernest de la Coquecigrue
- Messages : 135
- Inscription : mer. 30 oct. 2013, 11:57
En effet, cette définition-là correspond à notre cas. Je n'étais pas allé consulter le Littré.Jacques a écrit :Soit, c’est ambigu, cela peut donner lieu à interprétation. Mais pour moi celle de Littré ne laisse guère place au doute :
– Je ne me soucie pas, il ne me plaît pas, il ne me convient pas. Je ne me soucie point de lire Télémaque.
Celle-ci colle parfaitement.
![[triste] :(](./images/smilies/icon_sad.gif)
G. R. André, je suis d'accord avec les équivalences que vous présentez, à l'exception de la troisième : On ne s'était pas soucié de les attendre. Cet exemple est cité dans le TLF, qui donne pour définition, comme l'a rapporté Islwyn : Ne pas se préoccuper de, n'avoir pas envie de. Je suis un peu perplexe, parce que nous avons ici les deux nuances que nous essayons précisément de distinguer.
Pour essayer d'en savoir plus, je suis allé chercher l'extrait cité dans l'œuvre originale (Gaspard des montagnes). Voici le contexte : les personnages sont en train de pêcher au bord d'un ruisseau. Tout à coup, quatre énormes pierres dévalent la pente et manquent de peu de les emporter tous. Ils se précipitent en haut de la colline pour chercher les auteurs de l'agression, mais ne trouvent personne : On ne s'était pas soucié de les attendre. M. Jean, le seul qui eût un pistolet, crut voir des ombres qui détalaient et tira sur elles.
L'expression est-elle ici synonyme de On ne s'était pas préoccupé de les attendre, ou bien de On n'avait pas souhaité les attendre ? Je proposerais plutôt la première solution, qui correspond au sens le plus courant aujourd'hui, mais la différence n'est pas facile à établir.
- Jacques
- Messages : 14475
- Inscription : sam. 11 juin 2005, 8:07
- Localisation : Décédé le 29 mai 2015, il était l'âme du forum
J'ai spontanément compris : On n'avait pas jugé utile de les attendre.Ernest de la Coquecigrue a écrit :L'expression est-elle ici synonyme de On ne s'était pas préoccupé de les attendre, ou bien de On n'avait pas souhaité les attendre ? Je proposerais plutôt la première solution, qui correspond au sens le plus courant aujourd'hui, mais la différence n'est pas facile à établir.
Finalement, cette forme de phrase prête à diverses interprétations, et pas seulement à deux.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
- Jacques
- Messages : 14475
- Inscription : sam. 11 juin 2005, 8:07
- Localisation : Décédé le 29 mai 2015, il était l'âme du forum
Ernest, je ne suis pas seul à m’interroger sur vos compétences. Je vais me faire le porte-parole des curieux du forum. Vous déposez des commentaires pertinents, en vous appuyant sur un plan bien organisé, avec citations et références. C’est à la fois technique et à la portée du francophone courant. Une sorte de didactique de la langue.
Nous avons l’impression que vous êtes plus qu’un amateur, que c’est un travail de professionnel. Sommes-nous dans le vrai ?
Si c’est indiscret, si vous ne souhaitez pas répondre, dites-le sans hésitation.
Nous avons l’impression que vous êtes plus qu’un amateur, que c’est un travail de professionnel. Sommes-nous dans le vrai ?
Si c’est indiscret, si vous ne souhaitez pas répondre, dites-le sans hésitation.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
- Islwyn
- Messages : 1492
- Inscription : sam. 16 févr. 2013, 12:09
- Localisation : Royaume-Uni (décédé le 9 mars 2018)
Je crois avoir raison de préciser que la difficulté de ne pas se soucier ne concerne que la construction avec l'infinitif, et encore cet usage ambigu semble-t-il restreint à un domaine littéraire soutenu.
« Elle ne se souciait pas des opinions d'autrui », et « elle ne se souciait pas que sa mère partît » ne posent aucun problème de compréhension.
« Elle ne se souciait pas des opinions d'autrui », et « elle ne se souciait pas que sa mère partît » ne posent aucun problème de compréhension.
Quantum mutatus ab illo
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- Messages : 7437
- Inscription : dim. 17 févr. 2013, 14:22
Ayant fait les mêmes observations, impressionné comme Jacques par les compétences qui sont les vôtres, Ernest, je m'associe à lui pour sa démarche auprès de vous.
Qu'on ne m'en veuille pas : je ne parviens pas à faire la différence entre On n'avait pas envie de les attendre et On ne souhaitait pas les attendre.Ernest de la Coquecigrue a écrit :G. R. André, je suis d'accord avec les équivalences que vous présentez, à l'exception de la troisième : On ne s'était pas soucié de les attendre. Cet exemple est cité dans le TLF, qui donne pour définition, comme l'a rapporté Islwyn : Ne pas se préoccuper de, n'avoir pas envie de. Je suis un peu perplexe, parce que nous avons ici les deux nuances que nous essayons précisément de distinguer.