Manque de rigueur

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Jacques-André-Albert
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Manque de rigueur

Message par Jacques-André-Albert »

Entendu ce midi, au journal télévisé, sur l'image du ministre de l'intérieur marchant gravement : « un peu plus tôt, le ministre de l'intérieur, B. C., s'engouffrait dans l'église »
S'engouffrer : Entrer, pénétrer précipitamment (dans un passage, dans un lieu).
Le flou habituel dans le choix des mots. Le laïus des journalistes, même préparé pour un commentaire, est truffé de ces à-peu-près qui enlèvent aux mots leur valeur et leur force et aboutissent à une grande confusion.
Quand bien nous pourrions estre sçavans du sçavoir d'autruy, au moins sages ne pouvons nous estre que de nostre propre sagesse.
(Montaigne - Essais, I, 24)
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Jacques
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Message par Jacques »

Hélas ! c'est devenu monnaie courante. Ils emploient des mots qui font de l'effet de manche, sans se préoccuper de leur signification.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

On peut supposer effectivement que le ministre ne s'est pas précipité avec fracas dans l'église. Mais le choix du verbe me semble présenter un autre inconvénient : s'engouffrer ne contient-il pas l'idée d'une masse, d'une multitude qui provoque éventuellement une bousculade ou, à tout le moins, un engorgement, à l'entrée du lieu concerné ? Il me semble de ce fait peu convenir pour une personne seule.
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Jacques-André-Albert
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Message par Jacques-André-Albert »

Le TLFI précise que « Le sujet désigne un être animé, personne ou animal ou un véhicule en mouvement », tandis que l'Académie française ne semble constater, par ses exemples, que l'emploi du verbe pour des phénomènes naturels ou des trains, l'application à une personne restant du registre familier : « Pénétrer avec violence, avec précipitation. Le barrage ayant cédé, les flots s'engouffrèrent dans la vallée. Le vent s'engouffrait dans le corridor. Le train s'engouffra dans le tunnel. Fam. Il s'engouffra dans sa voiture. »
Quand bien nous pourrions estre sçavans du sçavoir d'autruy, au moins sages ne pouvons nous estre que de nostre propre sagesse.
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Jacques
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Message par Jacques »

Le Robert et le Littré ne parlent que de choses et n'envisagent pas l'application du verbe pronominal à des êtres vivants et animés.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
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Jacques-André-Albert
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Message par Jacques-André-Albert »

Il me semble qu'une foule, un flot d'individus peut s'engouffrer, à l'instar du vent et de l'eau. Quelques exemples tirés d'œuvres romanesques sont donnés dans le ΤLFI, mais on n'y trouve pas l'emploi du verbe pour une personne isolée.
Quand bien nous pourrions estre sçavans du sçavoir d'autruy, au moins sages ne pouvons nous estre que de nostre propre sagesse.
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Jacques
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Message par Jacques »

C'est peut-être en effet envisageable pour plusieurs individus, qui donnent une idée de masse comme pour l'eau ou le vent, mais pas pour une personne isolée.
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Islwyn
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Message par Islwyn »

Mon PR cite Flaubert :
« De peur d'être vue... elle s'engouffrait dans les ruelles sombres ».
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Jacques-André-Albert
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Message par Jacques-André-Albert »

C'est exact, mon PR également. Mais ce que je contestais avant tout, c'est l'emploi du verbe s'engouffrer pour un premier ministre avançant de manière mesurée, sans précipitation.
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Message par Islwyn »

Et là nous sommes entièrement d'accord. Peut-être l'auteur de la phrase assimilait-il inconsciemment la ministre à un navire... :D
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Jacques
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Message par Jacques »

À titre de curiosité, je cite la définition du dictionnaire de l'Académie, 2e édition (1718) :
ENGOUFFRER, S'ENGOUFFRER. v. n. p. Se dit proprement des tourbillons de vent, lorsqu'ils entrent, qu'ils s'enferment en quelque endroit. Le vent s'est engouffré dans la cheminée. quand le vent s'engouffre dans les cavitez de la terre, il cause des tremblements.
Il se dit aussi, des rivieres ou des ravines d'eau lorsqu'elles tombent & se perdent en quelque ouverture de la terre. Le Rosne s'engouffre en un endroit & ressort par un autre. On dit que La Guadiane s'engouffre & se perd l'espace d'environ trois lieuës.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
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