Œil / Oeil
- Islwyn
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Œil / Oeil
Je ne vois presque plus, en lisant les titres de journaux diffusés par Internet, l'erreur d'ortographe signalée dans le titre. Que « ma sœur » s'écrive pour ainsi dire normalement « ma soeur » ne me frappe plus. Qu'en pensez-vous ?
Quantum mutatus ab illo
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Je n'ai jamais pensé que les médias modernes aient une influence négative sur l'orthographe, ils ne sont que les révélateurs des lacunes. Cependant œ fait exception à cette règle, en ce sens que beaucoup de gens l'écrivent correctement à la main, mais ignorent la manière de le noter au clavier. Nous devons lutter contre la tendance à séparer les deux voyelles. Mais vous m'étonnez à considérer que l'on verrait moins la faute pour œil que pour œuvre.
Quoi qu'il en soit, mon correcteur impose œil et œuvre quand je tape pour ces mots un O et un E séparés. Tout le monde ne sait peut-être pas par ailleurs que l'on obtient directement œ �et Œ en tapant Alt 0156 et Alt 0140.
Avez-vous volontairement privé orthographe d'un H ? :D
Quoi qu'il en soit, mon correcteur impose œil et œuvre quand je tape pour ces mots un O et un E séparés. Tout le monde ne sait peut-être pas par ailleurs que l'on obtient directement œ �et Œ en tapant Alt 0156 et Alt 0140.
Avez-vous volontairement privé orthographe d'un H ? :D
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- Jacques-André-Albert
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Personnellement, l'absence de ligature entre o et e me gène moins que sa prononciation "eu", à laquelle je préfère "é". Je vous signale, d'ailleurs, que certains mots comme économie s'écrivaient oeconomie au dix-huitième siècle. L'œ ne se prononce "eu" (plus ou moins fermé) que s'il est suivi d'un u, comme dans œuf, bœuf...
Quand bien nous pourrions estre sçavans du sçavoir d'autruy, au moins sages ne pouvons nous estre que de nostre propre sagesse.
(Montaigne - Essais, I, 24)
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Cette modification de la prononciation d'œ, surtout en tête de mot, est probablement récente. Pour tous les vocables commençant par œ suivi d'une consonne, si j'ai bien regardé les pages correspondantes, le Larousse donne au choix [e] (é) et [ø] (eu), tandis que le Robert en six volumes n'accepte que [e]. Je crains qu'il soit difficile d'aller contre cette évolution fautive qui trouverait peut-être son origine, une fois n'est pas coutume, dans des mots empruntés à l'allemand ou au danois, comme fœhn (Foehn ou Föhn dans la langue de Goethe), œrsted...
Notre « économie » vient effectivement du latin œconomia (oeconomia ?), mot d'origine grecque qui a donné Ökonomie (parfois Oekonomie) en allemand.
Notre « économie » vient effectivement du latin œconomia (oeconomia ?), mot d'origine grecque qui a donné Ökonomie (parfois Oekonomie) en allemand.
- Jacques-André-Albert
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Je ne crois pas trop à cette influence de mots relativement rares et très peu utilisés par la majorité des Français, mais plutôt à une confusion avec les mots comportant la syllabe œu.André (G., R.) a écrit :Cette évolution fautive qui trouverait peut-être son origine, une fois n'est pas coutume, dans des mots empruntés à l'allemand ou au danois, comme fœhn (Foehn ou Föhn dans la langue de Goethe), œrsted...
Dernière modification par Jacques-André-Albert le jeu. 05 févr. 2015, 8:51, modifié 2 fois.
Quand bien nous pourrions estre sçavans du sçavoir d'autruy, au moins sages ne pouvons nous estre que de nostre propre sagesse.
(Montaigne - Essais, I, 24)
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Quitte à ne rien vous apprendre, je crois pouvoir résumer ainsi l'histoire de l'apparition d'œ, à la suite de quelques recherches que je viens de faire.
1 - La voyelle O
Jusqu'au seizième siècle sœur, en provenance du latin soror, s'écrivait seur ; cœur (latin cor) était noté cuer... Mais des lettrés se sont avisés que ces graphies n'étaient plus tout à fait conformes aux origines des mots concernés et les éloignaient d'adjectifs apparentés (sororal, cordial...) : les libraires imprimeurs ont réintroduit l'O, qui avait en outre l'avantage de distinguer deux homonymes (seur, fille née des mêmes parents, et seur, en qui l'on peut avoir confiance, devenu sûr en français moderne).
2 - La ligature
On s'est alors rendu compte que si l'on écrivait soeur, coeur... on risquait de prononcer O et EU séparément, sous l'influence de mots comme coefficient. Il a donc été décidé de lier graphiquement ces lettres.
1 - La voyelle O
Jusqu'au seizième siècle sœur, en provenance du latin soror, s'écrivait seur ; cœur (latin cor) était noté cuer... Mais des lettrés se sont avisés que ces graphies n'étaient plus tout à fait conformes aux origines des mots concernés et les éloignaient d'adjectifs apparentés (sororal, cordial...) : les libraires imprimeurs ont réintroduit l'O, qui avait en outre l'avantage de distinguer deux homonymes (seur, fille née des mêmes parents, et seur, en qui l'on peut avoir confiance, devenu sûr en français moderne).
2 - La ligature
On s'est alors rendu compte que si l'on écrivait soeur, coeur... on risquait de prononcer O et EU séparément, sous l'influence de mots comme coefficient. Il a donc été décidé de lier graphiquement ces lettres.
- Jacques-André-Albert
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Pour cœur, l'introduction du o présente l'avantage, de nos jours, de lire un C dur sans avoir recours à la curieuse inversion du e et du u comme dans accueil et orgueil (inversion qui est en fait la suppression de celui qui est le moins indispensable pour la lecture).
Quand bien nous pourrions estre sçavans du sçavoir d'autruy, au moins sages ne pouvons nous estre que de nostre propre sagesse.
(Montaigne - Essais, I, 24)
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Pourtant, avant l'introduction de la voyelle O dans cœur, U et E s'y suivaient bien dans cet ordre-là (cuer).
Il me semble bien que les premières machines à écrire utilisées en France n'étaient pas françaises. Je me demande si la suppression fautive de la ligature ne vient pas de ce qu'elles ne proposaient pas œ (ni æ). Les dactylos n'auraient alors pas eu d'autre possibilité que la séparation des deux voyelles. Je vois là une raison importante du maintien de la ligature, une autre tenant à la précision phonique. Au seizième siècle œ a été considéré comme une nouvelle lettre, que l'on se doit de respecter si l'on respecte la langue.
Il me semble bien que les premières machines à écrire utilisées en France n'étaient pas françaises. Je me demande si la suppression fautive de la ligature ne vient pas de ce qu'elles ne proposaient pas œ (ni æ). Les dactylos n'auraient alors pas eu d'autre possibilité que la séparation des deux voyelles. Je vois là une raison importante du maintien de la ligature, une autre tenant à la précision phonique. Au seizième siècle œ a été considéré comme une nouvelle lettre, que l'on se doit de respecter si l'on respecte la langue.
- Jacques-André-Albert
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Un article de Wikipedia à ce sujet :
En latin
La combinaison forme une diphtongue en latin, notée [oe̯] dans l’alphabet phonétique international. Elle a été utilisée pour les emprunts de mots grecs contenant la diphtongue « οι » (oi). En latin, on devrait écrire les deux voyelles séparément, mais la ligature a été utilisée dans les textes médiévaux et plus anciens, en partie parce que la diphtongue notée par oe s’est monophtonguée en [eː] dès les premiers textes littéraires.
En français, l’utilisation de la ligature œ n’est pas esthétique mais linguistique, contrairement à d’autres ligatures (par exemple, ij) : œ et oe ne se lisent pas de la même manière, la deuxième forme notant un hiatus (cœlacanthe ≠ coefficient). Notons que si le digramme œu français se prononce [ø] ou [œ], les œ des mots provenant du grec devraient se prononcer [e] ou [ɛ] (œsophage : « ésophage », Œdipe : « Édipe », œstrogène : « èstrogène », etc.) ; l’usage courant, sans doute sous l’influence des mots courants d'origine latine — œil, œuf, bœuf, etc. — préfère la plupart du temps [ø], mais pas dans tous les cas (fœtus, cœlacanthe).
On énonce parfois une « règle » voulant qu'en français, la ligature œ se prononce comme « eu » lorsqu’elle est suivie d’une voyelle, et comme « é » lorsqu’elle est suivie d’une consonne. Il s’agit là d’un procédé mnémotechnique, qui peut être utile, mais reste susceptible d’exceptions, et surtout, sans aucune valeur linguistique. La seule règle rigoureuse est celle de l’étymologie latine (prononciation : /ø/ ou /œ/) ou grecque (prononciation : /e/ ou /ɛ/) dans tous les cas.
Quand bien nous pourrions estre sçavans du sçavoir d'autruy, au moins sages ne pouvons nous estre que de nostre propre sagesse.
(Montaigne - Essais, I, 24)
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- Inscription : dim. 17 févr. 2013, 14:22
Il me semble voir dans cet article la confirmation de l'essentiel de ce que nous avons dit.
Lorsque j'ai cherché oeconomia dans mon Gaffiot, je m'attendais à le voir écrit ainsi. Or il y apparaît sous la forme œconomia. Félix GAFFIOT, dont les immenses compétences ne sont guère mises en cause, était cependant influencé par les pratiques médiévales (En latin, on devrait écrire les deux voyelles séparément, mais la ligature a été utilisée dans les textes médiévaux et plus anciens, en partie parce que la diphtongue notée par oe s’est monophtonguée en [eː] dès les premiers textes littéraires.)
Lorsque j'ai cherché oeconomia dans mon Gaffiot, je m'attendais à le voir écrit ainsi. Or il y apparaît sous la forme œconomia. Félix GAFFIOT, dont les immenses compétences ne sont guère mises en cause, était cependant influencé par les pratiques médiévales (En latin, on devrait écrire les deux voyelles séparément, mais la ligature a été utilisée dans les textes médiévaux et plus anciens, en partie parce que la diphtongue notée par oe s’est monophtonguée en [eː] dès les premiers textes littéraires.)