Menaçants de faire qch ?

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angeloï
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Menaçants de faire qch ?

Message par angeloï »

Il [le vent] faisait peur, mais il y avait d'autres bruits, plus rapprochés, plus matériels, plus menaçants de détruire, que rendait l'eau tourmentée [...].

Dans la description d'une tempête au large de l'Islande, je trouve ce participe présent employé comme adjectif construit avec un infinitif par Pierre Loti.

Je connaissais des choses menaçantes (des bruits, des nuages) mais pas des choses menaçantes de faire qch.

Pourrait-on écrire

Ulysse entendait maintenant des voix exquises, tentantes de séduire, qui provenaient de l'île à tribord
?

Qu'en pensez-vous ?
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Perkele
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Message par Perkele »

Il me semble que le cas n'est pas le même de par la proximité sémantique de tenter et séduire.

Les voix peuvent être séduisantes ou tout simplement tentantes.

Cependant pour la phrase de Loti, "menaçants" ne suffisaient pas à rendre son idée : le terme ne dit pas le genre de menace . "Destructeurs" ne l'aurait pas fait non plus car il ne comporte pas l'idée de menace.

Il aurait sans doute pu s'en tirer autrement, mais la phrase lui a plu ainsi. Et c'est lui l'auteur. Je trouve également ce rythme élégant.
Dernière modification par Perkele le dim. 15 mars 2015, 10:01, modifié 1 fois.
Il faut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux.
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

De menacer et tenter sont dérivés deux adjectifs : menaçant (menaçants, menaçante, menaçantes) et tentant (tentante, tentants, tentantes), à ne pas confondre avec les participes présents invariables menaçant et tentant. L'adjectif menaçant n'admet pas, à ma connaissance, de complément introduit par de, à la différence du verbe menacer et donc du participe présent menaçant :

Menaçant de s'effondrer, la maison a été abattue.
En menaçant ses adversaires de représailles, il n'a fait qu'accroître leur colère.

Il en va de même pour séduire (je veux parler de l'adjectif dérivé et du participe présent et non des compléments).

Pourquoi accepterait-on d'un écrivain connu une syntaxe fautive ? Comment LOTI ose-t-il parler de bruits menaçants de détruire ? Des bruits peuvent être menaçants. La tempête, menaçant une digue (ou : menaçant de détruire une digue), peut inquiéter le maire de la commune concernée.

La faute de grammaire me paraît claire, mais je me pose aussi la question de savoir si un bruit peut être destructeur. N'aurait-il pas été préférable, pour améliorer la syntaxe et préciser le sens, de parler de bruits menaçants et évocateurs de destructions ?
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Islwyn
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Message par Islwyn »

Cet échange soulève une question intéressante. La formule « bruits menaçants de détruire » de Loti est manifestement fautive, menaçant ne pouvant être ici qu'un participe présent (= qui menaçaient de détruire) et donc invariable.

La majorité des grammairiens ne semblent pas reconnaître l'existence d'un intermédiaire entre le participe présent et l'adjectif, que l'on peut appeler un « participe-adjectif », et qui semble remonter à une syntaxe ancienne. Que l'on pense à Racine, p. ex. :

« Songe aux cris des vainqueurs, songe aux cris des mourants,
Dans la flamme étouffés, sous le fer expirants »

(Andromaque, III viii)

Il y a une tendance générale chez les modernes que là où le participe est suivi de de, et même ailleurs, il devient « participe-adjectif » :

« les enfilades de pièces aussi abandonnées qu'au cœur d'une forêt, presque gémissantes de solitude » (Gracq) ;

« quelques attelages en route... passèrent luisants de pluie » (Giono) ;

« Frémissante de colère contre Napoléon..., elle est tout naturellement portée à... » (Braunschvicg) ;

« Tremblants de crainte, nous écoutions ces déclarations menaçantes » (Duhamel) ;

mais aussi :

« Elles dorment encore... suantes et geignantes à cause des mouches » (Mauriac) ;

« Pleurante, elle se tut » (Rosny).

Dans tous les cas, je crois, le « participe-adjectif » représente un état (d'affaires, d'esprit) et non une action.

Mes exemples sont tirés de The French Language Today, de L. C. Harmer, 1954.
Quantum mutatus ab illo
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Je peine à reconnaître l’existence d’un intermédiaire entre l’adjectif et le participe présent. J’ai l’impression que l’adjectif terminé par -ant a toujours pour origine ledit participe présent (à vérifier) : pour certains verbes cet adjectif est clairement attesté, pour d’autres non.
Tous les exemples que vous donnez, expirant (littéraire pour le Larousse), gémissant, luisant, frémissant, tremblant, suant, geignant et pleurant sont considérés comme des adjectifs à part entière par le Robert en six volumes. La difficulté vient de geignant et pleurant, dans lesquels le Larousse ne voit pas d’adjectifs.
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Islwyn
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Message par Islwyn »

Je préférais quand même les qualifier de participes présents à valeur adjectivale !
Distinguons :
« La petite cour... était divisée en deux parties : l'une ruisselante de soleil, l'autre envahie par l'ombre du bâtiment » (Simenon) ; « Elle arrive, mourante de soif, à un vieux puits garni de lierre » (Devoluy) ;
et :
« Ils se sont approchés de moi, souriant et me tendant les bras ».
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André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Je regrette, « mourante de soif » n'est pas correct selon moi : mourant adjectif (féminin mourante) ne signifie, me semble-t-il, que proche de la mort au sens propre (et au sens figuré : de plus en plus faible). On n'a pas cette idée dans la locution verbale mourir de soif, qui signifie seulement être très assoiffé. De ce fait je ne me permettrais de l'utiliser qu'en tenant compte de sa nature verbale : Elle arrive, mourant de soif,...
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Islwyn
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Message par Islwyn »

« Une autre femme, mourante de soif, demandait à Pélagie un verre d'eau » (Goncourt, Journal, 1896, p. 1004).
On pourrait aussi y voir un usage hyperbolique.
CNRTL, s.v. « soif », A2, par ext.

J'ajoute tardivement ceci :

« dans le cas des verbes intransitifs, c'est l'intention de l'auteur qui indique s'il s'agit d'un participe présent (quand on veut exprimer une action), ou d'un adjectif verbal (quand on veut exprimer une qualité, un état).
Exemples :

Ils ont été trouvés tremblant de peur. (tremblant est participe présent, car on veut exprimer l’action de trembler)

- Ils ont été trouvés tremblants de peur. (tremblant est adjectif verbal, car on veut exprimer un état) »
(tiré de l'article « Participe présent et adjectif verbal » de la Banque de dépannage linguistique http://bdl.oqlf.gouv.qc.ca/bdl/gabarit_ ... =1&id=2915
Quantum mutatus ab illo
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Perkele
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Message par Perkele »

Il me semble que nous avons perdu de vue que ce qui chagrinait Angeloï était que le "de" soit suivi d'un infinitif.
Il faut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux.
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Manni-Gédéon
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Message par Manni-Gédéon »

Si on considère l'expression menaçants de détruire, elle présente deux caractéristiques importantes :
- l'adjectif correspond à un verbe qui peut se construire avec de suivi d'un infinitif
- l'action de menacer et celle de détruire ont le même sujet

Après avoir longuement réfléchi, j'ai trouvé deux exemples similaires, l'un des deux adjectifs ayant la même terminaison que le participe présent et l'autre non :
- négligeant (négliger de faire qqch.)
- oublieux (oublier de faire qqch.)

Peut-on dire que quelqu'un est négligeant de ranger (derrière lui) ou oublieux de répondre (aux messages qu'il reçoit) ?
Il me semble que non. Je serais donc tentée de dire que l'expression menaçants de détruire n'est pas correcte.

Cependant, on peut être désireux d'aider (son prochain). Aider se construit sans la préposition de, mais cet exemple pourrait plaider en la faveur de menaçants de détruire.

Je ne trouve aucune règle qui se rapporte à ce genre de construction.
L'erreur ne devient pas vérité parce qu'elle se propage et se multiplie ; la vérité ne devient pas erreur parce que nul ne la voit.
Gandhi, La Jeune Inde
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