nous qui
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Dans Les plus jolies fautes de français de nos grands écrivains, dont j'ai parlé récemment sur d'autres fils, les auteurs critiquent l'accord du verbe rester dans le passage suivant de L'Amant, de Marguerite DURAS :
C'est en son absence que sa mère a acheté la concession. Terrible aventure, mais pour nous les enfants qui restaient, moins terrible que n'aurait été la présence de l'assassin des enfants de la nuit, de la nuit du chasseur.
Je me demande s'il ne s'agit pas d'abord d'une question de ponctuation. Qu'en pensez-vous ?
C'est en son absence que sa mère a acheté la concession. Terrible aventure, mais pour nous les enfants qui restaient, moins terrible que n'aurait été la présence de l'assassin des enfants de la nuit, de la nuit du chasseur.
Je me demande s'il ne s'agit pas d'abord d'une question de ponctuation. Qu'en pensez-vous ?
- Jacques-André-Albert
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Je le pense aussi. Cet accord suppose une virgule après nous :
« mais pour nous, les enfants qui restaient,... ». Évidemment, à la lecture, une légère pause après nous permet aussi l'accord avec les enfants.
« mais pour nous, les enfants qui restaient,... ». Évidemment, à la lecture, une légère pause après nous permet aussi l'accord avec les enfants.
Quand bien nous pourrions estre sçavans du sçavoir d'autruy, au moins sages ne pouvons nous estre que de nostre propre sagesse.
(Montaigne - Essais, I, 24)
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Vous pensez sans doute comme moi que la forme apparemment attendue par les auteurs, restions, ne serait possible qu'avec une virgule immédiatement avant « qui » : Terrible aventure, mais pour nous les enfants, qui restions, moins terrible... Et évidemment la légère pause serait alors de mise entre « enfants » et « qui ».
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Difficile de trancher en ce qui concerne votre proposition, Claude.
Imaginons que je parle de ma scolarité. Pour raconter à peu près la même chose, j'ai au moins deux possibilités :
1 - Dans ma classe, nous, les enfants qui n'avaient jamais vu la mer, étions méprisés par ceux qui l'avaient vue.
2 - Dans ma classe, nous (,) qui n'avions jamais vu la mer (,) étions méprisés par les enfants qui l'avaient vue.
Si je supprime l'article « les » avant « enfants » dans la phrase 1, je suis bien embêté ! À la réflexion, je me demande toutefois si je ne préférerais pas garder « avaient » en pareille hypothèse.
Dans cette même phrase 1, une virgule placée après « enfants » et celle avant « nous » ôtée, « avions » devient nécessaire, mais le sens de la phrase change :
Dans ma classe, nous les enfants, qui n'avions jamais vu la mer, étions méprisés par ceux qui l'avaient vue.
On ne sait plus qui avait vu la mer. Mais ce n'étaient pas les enfants dont je faisais partie.
Imaginons que je parle de ma scolarité. Pour raconter à peu près la même chose, j'ai au moins deux possibilités :
1 - Dans ma classe, nous, les enfants qui n'avaient jamais vu la mer, étions méprisés par ceux qui l'avaient vue.
2 - Dans ma classe, nous (,) qui n'avions jamais vu la mer (,) étions méprisés par les enfants qui l'avaient vue.
Si je supprime l'article « les » avant « enfants » dans la phrase 1, je suis bien embêté ! À la réflexion, je me demande toutefois si je ne préférerais pas garder « avaient » en pareille hypothèse.
Dans cette même phrase 1, une virgule placée après « enfants » et celle avant « nous » ôtée, « avions » devient nécessaire, mais le sens de la phrase change :
Dans ma classe, nous les enfants, qui n'avions jamais vu la mer, étions méprisés par ceux qui l'avaient vue.
On ne sait plus qui avait vu la mer. Mais ce n'étaient pas les enfants dont je faisais partie.
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Décidément, les professeurs de lettres que sont les deux auteurs des Plus jolies fautes commettent eux-mêmes quelques erreurs :
« Pendant que j'adressais à Albertine des reproches que je n'aurais pas dus, elle avait l'air de sucer avec délices un sucre d'orge. » Dans cette phrase de Proust, « reproches » n'est pas complément d'objet direct du participe, mais d'un infinitif sous-entendu (adresser) : il faudrait « dû ».
Ce qui est dit sur « dus » me paraît tout à fait justifié, mais ne trouvez-vous pas que les explications laissent à désirer par ailleurs ?
« Pendant que j'adressais à Albertine des reproches que je n'aurais pas dus, elle avait l'air de sucer avec délices un sucre d'orge. » Dans cette phrase de Proust, « reproches » n'est pas complément d'objet direct du participe, mais d'un infinitif sous-entendu (adresser) : il faudrait « dû ».
Ce qui est dit sur « dus » me paraît tout à fait justifié, mais ne trouvez-vous pas que les explications laissent à désirer par ailleurs ?
- Jacques-André-Albert
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Cette omission d'un complément d'objet aurait dû faire s'interroger ces critiques. Proust, si précis et si exigeant dans son expression, n'a pas pu commettre un tel oubli.
Une recherche dans Google de l'expression « devoir des reproches » montre que l'expression existait dans le passé. Voyez ici et là.
Ailleurs, le rapprochement avec devoir des éloges confirme qu'on peut légitimement devoir des compliments, des éloges, de la considération, mais aussi des reproches.
Une recherche de reproches qui lui sont dus donne aussi plusieurs réponses.
Dans la phrase de Proust, il n'y a pas omission du complément d'objet, mais du complément d'attribution, « à Αlbertine », qui n'est pas répété.
Une recherche dans Google de l'expression « devoir des reproches » montre que l'expression existait dans le passé. Voyez ici et là.
Ailleurs, le rapprochement avec devoir des éloges confirme qu'on peut légitimement devoir des compliments, des éloges, de la considération, mais aussi des reproches.
Une recherche de reproches qui lui sont dus donne aussi plusieurs réponses.
Dans la phrase de Proust, il n'y a pas omission du complément d'objet, mais du complément d'attribution, « à Αlbertine », qui n'est pas répété.
Quand bien nous pourrions estre sçavans du sçavoir d'autruy, au moins sages ne pouvons nous estre que de nostre propre sagesse.
(Montaigne - Essais, I, 24)
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Je me demande si PROUST, dans l'hypothèse où il aurait eu à l'esprit l'expression « devoir des reproches », ne se serait pas exprimé différemment, par exemple ainsi : « Pendant que j'adressais à Albertine des reproches que je ne lui devais pas,... ». Comme les auteurs du petit livre, je tends à considérer « que je n'aurais pas dus » comme un raccourci de « que je n'aurais pas dû lui adresser ». Et dans les différentes versions d'À la recherche du temps perdu que je trouve sur la Toile, je vois seulement « que je n'aurais pas dû ».
Ce qui est sûr, c'est que le manuscrit porte bien "dus".
http://www.item.ens.fr/index.php?id=76074
Quelques éditions ajoutent même un (sic).
L'hypothèse de JAA est ingénieuse et plausible. L'autre hypothèse est également plausible.
Dans tous les cas, il y a une petite erreur de Proust, car je ne crois pas qu'on pouvait faire l'ellipse du complément d'attribution.
Mais je pense comme André que, même avec complément d'attribution, une phrase comme :
Pendant que j'adressais à Albertine des reproches que je ne lui aurais pas dus, [...]
n'est guère heureuse et que Proust aurait préféré :
Pendant que j'adressais à Albertine des reproches que je ne lui devais pas, [...]
De sorte qu'il faut bien admettre que Proust a commis l'erreur que lui reproche le livre.
http://www.item.ens.fr/index.php?id=76074
Quelques éditions ajoutent même un (sic).
L'hypothèse de JAA est ingénieuse et plausible. L'autre hypothèse est également plausible.
Dans tous les cas, il y a une petite erreur de Proust, car je ne crois pas qu'on pouvait faire l'ellipse du complément d'attribution.
Mais je pense comme André que, même avec complément d'attribution, une phrase comme :
Pendant que j'adressais à Albertine des reproches que je ne lui aurais pas dus, [...]
n'est guère heureuse et que Proust aurait préféré :
Pendant que j'adressais à Albertine des reproches que je ne lui devais pas, [...]
De sorte qu'il faut bien admettre que Proust a commis l'erreur que lui reproche le livre.
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Il ne s'agissait que d'une considération grammaticale. Cette formulation serait incompatible avec la phrase qui précède immédiatement le passage cité : Il fallait séparer ce fils des deux autres enfants. La famille réside en Indochine, le fils en question est envoyé en France pour y être scolarisé dans un établissement particulier.André (G., R.) a écrit : restions, ne serait possible qu'avec une virgule immédiatement avant « qui » : Terrible aventure, mais pour nous les enfants, qui restions, moins terrible...
C'est étrange, ce matin, en relisant ce fil, je me sens finalement plus proche de l'explication de JAA. Bien que je ne trouve pas ailleurs d'exemples de "devoir des reproches" employé sans datif, je pense maintenant que la présence, juste avant, de "à Albertine", permet peut-être à Proust de se dispenser d'un pronom de rappel au datif, pour alléger la phrase.
En effet, j'ai du mal à imaginer que Proust, s'il avait voulu écrire : « Pendant que j'adressais à Albertine des reproches que je n'aurais pas dû adresser,... », eût pu délibérément sous-entendre l'infinitif. S'il ne voulait pas répéter "adresser", il pouvait mettre "faire".
En effet, j'ai du mal à imaginer que Proust, s'il avait voulu écrire : « Pendant que j'adressais à Albertine des reproches que je n'aurais pas dû adresser,... », eût pu délibérément sous-entendre l'infinitif. S'il ne voulait pas répéter "adresser", il pouvait mettre "faire".
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PROUST fait partie des auteurs français les plus étudiés, les exégètes de ses textes sont nombreux : accepteraient-ils unanimement « dû » s'ils pensaient que l'écrivain avait à l'esprit « devoir des reproches » ?
Par ailleurs, quelques lignes plus loin PROUST utilise un raccourci un peu similaire, que je mets en gras :
Pendant que j’adressais à Albertine des reproches que je n’aurais pas dû, elle avait l’air de sucer avec délices un sucre d’orge. Puis elle ne pouvait retenir un rire tendre. « Viens Titine, avec moi. Tu sais que je suis ta petite sœurette chérie. » Je n’étais pas seulement exaspéré par ce déroulement doucereux, je me demandais si Andrée avait vraiment pour Albertine l’affection qu’elle prétendait.
Par ailleurs, quelques lignes plus loin PROUST utilise un raccourci un peu similaire, que je mets en gras :
Pendant que j’adressais à Albertine des reproches que je n’aurais pas dû, elle avait l’air de sucer avec délices un sucre d’orge. Puis elle ne pouvait retenir un rire tendre. « Viens Titine, avec moi. Tu sais que je suis ta petite sœurette chérie. » Je n’étais pas seulement exaspéré par ce déroulement doucereux, je me demandais si Andrée avait vraiment pour Albertine l’affection qu’elle prétendait.
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Si, tout à fait ! Et je n'ai pas entendu dire qu'elles ne le fussent plus ! Et il ne me semble pas que cela ne vaille que pour l'infinitif non employé initialement !Leclerc92 a écrit :Ces constructions n'étaient-elles d'ailleurs pas blâmées par certains grammairiens, au motif qu'il faut sous-entendre un verbe à une forme (infinitif) qui n'était pas employée dans le début de la phrase ?
On éprouve évidemment de la gêne – mais heureusement une fois n'est pas coutume – à proposer ce qui, j'espère, peut constituer des améliorations des deux phrases de PROUST ! Tant pis ! Il me semble qu'il aurait dû écrire, d'une part : « Pendant que j’adressais à Albertine des reproches que je n’aurais pas dû lui adresser,... » ou : « Pendant que j’adressais à Albertine des reproches qu'elle ne méritait pas,... », ou : « Pendant que j’adressais à Albertine des reproches injustifiés,... ». D'autre part : «... je me demandais si Andrée avait vraiment pour Albertine l’affection qu’elle prétendait avoir pour elle », ou : « ... je me demandais si Andrée avait vraiment pour Albertine l’affection dont elle s'enorgueillissait ».
Il y a sans doute moyen de trouver mieux.