Pinacle (bonne utilisation du mot)

[Jacques]

Cette perversité sémantique de « si unique » résulte, soit d'une indigence intellectuelle qui ne fait pas analyser son côté absurde et redondant, soit d'un choix délibéré destiné à influencer l'esprit du consommateur.
Si nous admettons que les publicitaires ne sont pas tous des primaires illettrés, alors nous pencherons nettement pour le machiavélisme.

[Jacques]

Je vais reprendre à mon compte une remarque qui a été faite à plusieurs reprises et par différentes personnes : il est frustrant, quand quelqu'un pose une question, de ne pas avoir de ses nouvelles, et de se demander s'il est satisfait des réponses qui ont été données.

[André (G., R.)]

Votre réaction est compréhensible, Jacques.
"Si unique" et "le plus total" nous éloignent du pinacle, mais illustrent une vaste évolution consistant à relativiser fautivement le sens absolu de certains mots. Les exemples pullulent ("relativement impeccable", "assez indiscutable", "moins parfait", "encore plus inégalable", "approuver à deux cents pour cent", "si peu complet", "plus que top"...) Je me demande toutefois si certains mots modernes à sens relatif n'ont pas eu jadis un sens absolu et donc si cette évolution n'est pas constitutive de la langue. Mais elle ne me plaît guère.

[Jacques]

On pourrait en ajouter : parfaitement bien est celui qui me vient à l'idée, mais la liste est longue. Je croirais plutôt que cela s'inscrit dans le culte actuel de la redondance et du pléonasme, qui mène à une surenchère verbale permanente : télécommande à distance, cadeau gratuit, jeunes bébés, jeunes adolescents, ajouter en plus, tourner en rond, au jour d'aujourd'hui, s'approcher le plus près possible... Il y en a de plus en plus, et qui s'incrustent dans le langage courant. Sans parler de la battologie qui amène à des choses comme très très très très intéressant ; au fil du temps, le très très, devenu insuffisant, s'est allongé, il y a des gens qui vous le donnent six fois de suite, voire sept.

[Jacques-André-Albert]

La publicité tient une place de choix dans cette surenchère verbale, suivi par le monde de la télévision... que de chanteurs ou chanteuses pénibles à écouter qui deviennent de « grands artistes », des « voix exceptionnelles », des grandes dames de la chanson » !

[Claude]

[...] des grandes dames de la chanson » !

Au cours de mon stage d'élève-gendarme (c'était il y a longtemps), un capitaine disait régulièrement et toujours fièrement : « la gendarmerie est une grande dame ». Il le prononçait avec l'accent méridional et des yeux pétillants, ce qui donnait envie de mettre une majuscule à dame.

[Jacques]

C'est une habitude, je crois, dans l'armée, de parler de « grande famille » et autres formules de ce genre.
Je suis perplexe devant ces rattachements à des fiertés, des orgueils de groupes.

[André (G., R.)]

une surenchère verbale permanente

Je suis bien d''accord !
Mais mon propos était nettement plus restreint et ne concernait pas les pléonasmes ou les tournures emphatiques. Je considérais des mots dont le sens exclut qu'on le relativise. "Parfait" a un sens absolu qui interdit qu'on le fasse précéder de "très", "un peu", "si", "moins", "plus", "davantage", "aussi"... Dire que deux œuvres d'art sont aussi parfaites l'une que l'autre est aberrant, elles ne peuvent qu'être parfaites toutes deux ou ne l'être ni l'une ni l'autre, à moins que l'une le soit et non l'autre. De même une liste ne saurait être plus complète qu'une autre. Si la première comporte tous les éléments qu'on est en droit d'y attendre, elle est complète ; si la deuxième en comporte un seul en moins, elle est incomplète, c'est-à-dire qu'elle n'est pas complète, on ne saurait dire qu'elle est moins complète que la première.

[Jacques]

Je vois, c'est dans le même esprit que la surenchère verbale, mais plus spécifiquement dans le genre qui consiste à ajouter un adjectif ou un adverbe superflu à un mot qui a une valeur absolue, comme plus mieux ou plus parfait, etc.

[Jacques]

La publicité tient une place de choix dans cette surenchère verbale, suivi par le monde de la télévision... que de chanteurs ou chanteuses pénibles à écouter qui deviennent de « grands artistes », des « voix exceptionnelles », des grandes dames de la chanson » !

Pour la publicité, c'est incontestable, car c'est bien elle qui depuis des années nous matraque ses « cadeaux gratuits », par exemple. Dans un autres esprit, mais avec le même désir d'impressionner, de frapper les esprits, les médias audiovisuels ne sont pas en reste.

[André (G., R.)]

ajouter un adjectif ou un adverbe superflu à un mot qui a une valeur absolue

"Excellent" a pour moi une valeur absolue. Le président de la République a eu tort, me semble-t-il, d'annoncer récemment qu'il dirait au Qatar "combien ses entreprises (celles de la France) sont excellentes".

[Jacques]

Je comprends, combien ou à quel point ne peut pas se dire parce que « excellent » exprime la perfection, le summum, et ne peut pas s'accompagner d'un jugement d'intensité. Il fallait donc dire que les entreprises...

[André (G., R.)]

La même faute est fréquente avec "nul" et "nullité". D'une personne manquant de compétence on ne doit pas dire qu'elle est "d'une nullité absolue" ou "plus nulle" que ses collègues. On est nul (c'est rare !) ou on ne l'est pas.

[Jacques]

C'est juste, et je crois que cet abus vient de l'habitude qu'ont les adolescents d'utiliser l'adjectif nul à tout propos. C'est leur langage, nous avons tous eu le nôtre, mais les adultes devraient faire preuve de discernement.

[Claude]

On entend souvent archi nul, super nul et hyper nul ; c'est vraiment nul.