Perles d'inculture 5

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André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Leclerc92 a écrit :
Yeva Agetuya a écrit :
André (G., R.) a écrit :Notre père qui est aux cieux,
Oui ?

Ma maison qui est à la campagne...
Mais "ma maison" n'est pas un vocatif, contrairement à "notre père". L'accord est différent.
Il est rare qu'on s'adresse aux objets, effectivement ! Peut-être un poète se permettrait-il toutefois quelque chose comme « O ma maison chérie, qui me connais si bien... »
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Yeva Agetuya
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Message par Yeva Agetuya »

Cette histoire de vocatif me chiffonne bien que ces vers-ci ne m'ont jamais paru étranges :

Frères humains, qui après nous vivez,
N'ayez les coeurs contre nous endurcis,
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

VILLON vous aide à répondre ainsi à la question que vous vous posez.
La règle appliquée alors ne concerne pas que le vocatif, mais toute phrase où l'antécédent d'un pronom relatif est à la première ou à la deuxième personne :

Tu gagneras forcément contre moi, qui n'ai jamais pratiqué ce sport !
Je gagnerai forcément contre toi, qui n'as jamais pratiqué ce sport !*
Tu gagneras forcément contre nous, qui n'avons jamais pratiqué ce sport !
Je gagnerai forcément contre vous, qui n'avez jamais pratiqué ce sport !*

*Claude a fort justement rappelé que l'on disait jadis « Notre père, qui êtes aux cieux... », qu'on pourrait imaginer sous les formes « Vous, notre père, qui êtes aux cieux... » ou « Vous, qui êtes aux cieux... ». À cela correspondent bien sûr, pour le tutoiement, les formulations « Notre père, qui es aux cieux... », « Toi, notre père, qui es aux cieux... » ou « Toi, qui es aux cieux... »
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Perkele
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Message par Perkele »

Leclerc92 a écrit :Du temps de votre jeunesse catholique, cher Claude, car chez les Protestants, cela fait belle lurette qu'on tutoie Dieu, sans lui manquer de respect pour autant !
https://oratoiredulouvre.fr/prier/Le-No ... .php#lefev
Chez les orthodoxes également : Дай нам на сей день хлеб наш насущный. (Donne-nous aujourd'hui notre portion congrue de pain)
Il faut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux.
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Ah, qu'il est bon d'être confronté de temps à autre à la langue russe ! J'apprends que насущный [nasuʃnij], que vous avez traduit par congru, signifie aussi vital, essentiel, urgent. Le mot-à-mot de la phrase : Donne-nous à ce jour pain notre vital.
Probablement le tutoiement est-il aussi de rigueur en bulgare, serbe, roumain, grec..., autres langues de pays orthodoxes.
La plus ancienne traduction connue du Notre Père en français, du XIIe siècle, que je trouve sur Wikipédia, utilisait le tutoiement :

Li nostre Perre ki ies es ciels,
seit seintefiez li tuns nuns.
Avienget le tuens regnes.
Seit feite la tue volentez, si cum en ciel, e en la terra.
Nostre pein chaskejurnel dune nus hoi,
E pardune a nus les noz detes,
si cum, nus pardununs a noz deturs,
E ne nus meines en tenteisun,
meis delivre nus de mal.
Issi seit.
(Eadwin de Cantorbéry - 1120)

Les K de « ki » et « chaskejurnel » m'étonnent, mais il s'agit apparemment de français d'Angleterre !
Je n'ai pas trouvé la date du passage au vouvoiement.
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Leclerc92
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Message par Leclerc92 »

Dans le lien que j'ai donné plus haut et qui contenait déjà la vieille version du Notre Père d'Eadwin de Cantorbery, il est indiqué après la version de Lemaître de Sacy :
C'est au 17e qu'apparaît dans les bibles catholiques le vouvoiement de politesse pour s'adresser à Dieu.
Pour le russe, l'ordre "canonique" serait aujourd'hui je crois plutôt "наш хлеб насущный" mais la forme retenue dans le Notre Père russe est plus poétique et imite l'ordre du Notre Père latin (Panem nostrum supersubstantialem/quotidianum) ou grec (« ton arton hēmōn ton epiousion » (τὸν ἄρτον ἡμῶν τὸν ἐπιούσιον)).
Par ailleurs, il semble que le mot насущный ait été originellement formé comme calque du grec epiousios pour traduire en russe le Notre Père :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Epiousios.
Je ne suis pas sûr que насущный avait le sens de vital, essentiel, urgent, avant d'avoir été appliqué au pain du Notre Père.
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Islwyn
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Message par Islwyn »

André (G., R.) a écrit :Les K de « ki » et « chaskejurnel » m'étonnent, mais il s'agit apparemment de français d'Angleterre !
Plus proprement : anglo-normand.
Quantum mutatus ab illo
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Leclerc92 a écrit :C'est au 17e qu'apparaît dans les bibles catholiques le vouvoiement de politesse pour s'adresser à Dieu.
Merci.
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Perkele
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Message par Perkele »

André (G., R.) a écrit :Ah, qu'il est bon d'être confronté de temps à autre à la langue russe ! J'apprends que насущный [nasuʃnij], que vous avez traduit par congru, signifie aussi vital, essentiel, urgent. Le mot-à-mot de la phrase : Donne-nous à ce jour pain notre vital.
.
J'ai toujours compris ce passage comme étant un rappel de la manne céleste dont on ne prélevait que ce qui suffisait au nutriment d'une journée. "Portion congrue", "qui convient exactement" me semblait donc une meilleure traduction que "vital" ou "essentiel".
Il faut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux.
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

L'affaire est délicate. Congru signifie bien initialement approprié à un usage, à une situation, idoine, convenable, pertinent ; mais dans « portion congrue » il semblerait qu'on ne soit pas loin d'insuffisant. Le Robert en six volumes explique :
Portion congrue : pension que le bénéficiaire d'une paroisse donnait au curé pour compléter le casuel. — Par ext. Revenu, traitement à peine suffisant pour subsister. Réduire quelqu'un à la portion congrue.
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Islwyn
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Message par Islwyn »

En effet, et Claude Duneton, dans La Puce à l'oreille, n'en donne que cette seule définition.
Quantum mutatus ab illo
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Perkele
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Message par Perkele »

J'ai pourtant bien la notion de "portion qui convient exactement" et je la retrouve :
L'état déplorable où se trouvoient les paroisses, ayant causé beaucoup de scandale dans l'Eglise & excité de grandes plaintes, il y fut pourvu au concile général de Latran, tenu sous Alexandre III, & au concile provincial d'Avranches, où il fut ordonné que les religieux qui avoient des cures unies à leurs menses conventuelles, les feroient desservir par un de leurs religieux idoine, ou par un vicaire perpétuel & non révocable, qui seroit institué par l'évêque sur leur présentation, & auquel ils seroient tenus d'assigner une portion congrue, ou pension suffisante sur le revenu de la cure: telle est l'origine des portions congrues.
Il faut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux.
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Perkele
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Message par Perkele »

André (G., R.) a écrit :L'affaire est délicate. Congru signifie bien initialement approprié à un usage, à une situation, idoine, convenable, pertinent ; mais dans « portion congrue » il semblerait qu'on ne soit pas loin d'insuffisant. Le Robert en six volumes explique :
Portion congrue : pension que le bénéficiaire d'une paroisse donnait au curé pour compléter le casuel. — Par ext. Revenu, traitement à peine suffisant pour subsister. Réduire quelqu'un à la portion congrue.
À mon sens, donc, le "à peine" est de trop.
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Perkele
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Message par Perkele »

André (G., R.) a écrit :La découverte de « comme même » en lieu et place de « quand même » m'a beaucoup étonné il y a quelques années. Cette perle, que je lis surtout sous la plume de jeunes, pourrait s'expliquer par l'audition déficiente de ses utilisateurs. Mais la phrase que vous rapportez, Perkele, semble montrer en deux ou trois autres endroits que son auteur entend mal.
Je viens de lire "en même" à la place que quand même. :roll:
Il faut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux.
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Perkele a écrit :J'ai pourtant bien la notion de "portion qui convient exactement" et je la retrouve :
Vous fournissez probablement vous-même la clé de l'affaire : le sens de « portion congrue » a évolué entre le dix-septième siècle, période de publication du texte auquel votre lien donne accès, et aujourd'hui.
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