Des

Répondre
Avatar de l’utilisateur
Diomède
Messages : 88
Inscription : ven. 13 oct. 2006, 18:06
Localisation : Château-Gontier (53)

Des

Message par Diomède »

Je trouve ce vers à la fin du Barde de Temrah de Leconte de Lisle :
Et Murdoc'h fut mangé des aigles et des loups.
Que pensez-vous de cette structure? Connaissant Leconte de Lisle, je ne pense pas qu'elle soit incorrecte, mais elle est pour le moins surprenante.
Qu'il est sombre, le rire amer des grandes eaux !
Leconte de Lisle
Avatar de l’utilisateur
Jacques
Messages : 14475
Inscription : sam. 11 juin 2005, 8:07
Localisation : Décédé le 29 mai 2015, il était l'âme du forum

Message par Jacques »

Cette tournure littéraire, qui remplace par les, n'est pas très répandue mais elle m'est connue. Je pense que nous pouvons la rapprocher de cette autre qui lui ressemble : il était connu des habitants de toute la région. Ce n'est pas tout à fait la même chose, et Leconte de Lisle use là d'une hardiesse en poussant un peu plus loin la figure, mais elle ne me choque pas et je lui trouve de l'élégance. Hanse nous donne ces exemples, qui sortent aussi de l'ordinaire : on dirait d'un enfant (un enfant), si j'étais de vous (à votre place), ce qui prouve que de ou des se prête à des emplois peu communs.
J'exprime une opinion, un ressenti sans me fonder sur des bases rhétoriques ou grammaticales.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
codrila

Message par codrila »

Cette tournure passive donne également un sens différent au verbe manger , celui d'être rongé , usé lentement. D'où l'idée d'un supplice, d'une torture lente.

Être mangé de vermine, de poux, de vers, de mites ...

N'est pas un oxymore? Car les oiseaux ( aigles) peuvent lentement tuer à coups de bec, alors que les loups sont réputés être voraces.
Avatar de l’utilisateur
Jacques
Messages : 14475
Inscription : sam. 11 juin 2005, 8:07
Localisation : Décédé le 29 mai 2015, il était l'âme du forum

Message par Jacques »

Il n'est pas certain que ce soit un oxymore, car l'oxymore crée une contradiction apparente en rapprochant deux mots de sens contraires, c'est une fausse antinomie, comme lorsque vous dites « je veux entendre le silence » ou « hâtez-vous lentement », ou encore « c'est un cousin éloigné qui habite près de chez moi ». La contradiction ici serait peut-être dans les idées, mais elle n'est pas sémantique. Votre exemple mangé des vers est intéressant, car il est calqué sur la contruction citée par Diomède.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
Avatar de l’utilisateur
Diomède
Messages : 88
Inscription : ven. 13 oct. 2006, 18:06
Localisation : Château-Gontier (53)

Message par Diomède »

Certes, mais il n'est pas question ici de tuer lentement à coups de bec, ni même de supplice, puisque le dénommé Murdoc'h, à ce stade du poème, s'est planté une épée dans le coeur. Il s'agit donc simplement de dévorer son cadavre, ce qui rejoint effectivement "mangé des vers".
Je suis toutefois parfaitement d'accord avec Jacques : la tournure est, je trouve, très agréable à la lecture.
Qu'il est sombre, le rire amer des grandes eaux !
Leconte de Lisle
Avatar de l’utilisateur
Klausinski
Messages : 1295
Inscription : mar. 12 déc. 2006, 23:54
Localisation : Aude

Message par Klausinski »

codrila a écrit :Cette tournure passive donne également un sens différent au verbe manger , celui d'être rongé , usé lentement. D'où l'idée d'un supplice, d'une torture lente.

Être mangé de vermine, de poux, de vers, de mites ...
Vous me faites penser au poème « Une charogne », de Baudelaire :

Alors, ô ma beauté! dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j'ai gardé la forme et l'essence divine
De mes amours décomposés!


Sinon, ma grammaire (Riegel, Pellat, Rioul) signale, concernant le complément d’agent :

« Alors qu’en français classique la préposition de était largement majoritaire (et que l’on employait encore sporadiquement à, resté conservé dans les expressions être mangé aux mites / aux vers et concurrencées aujourd’hui par ne pas être piqué des vers / des hannetons) le français moderne tend à généraliser par qui est toujours substituable à de. […] La préposition de apparaît aujourd’hui comme la forme marquée réservée aux cas où le complément introduit n’est pas interprété comme un véritable agent […] »

Chez Leconte de Lisle, ce serait donc un archaïsme syntaxique.
« J’écris autrement que je ne parle, je parle autrement que je ne pense, je pense autrement que je ne devrais penser, et ainsi jusqu’au plus profond de l’obscurité. »
(Kafka, cité par Mauriac)
Avatar de l’utilisateur
Jacques
Messages : 14475
Inscription : sam. 11 juin 2005, 8:07
Localisation : Décédé le 29 mai 2015, il était l'âme du forum

Message par Jacques »

L'explication « archaïsme syntaxique » est la plus séduisante.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
Répondre