Un dictionnaire qui accueille tout et n’importe quoi n’est pas un bon dictionnaire ; celui qui fait preuve de purisme et exclut toutes les nouveautés non plus. Un bon dictionnaire est un ouvrage qui guide ses usagers vers un emploi conscient de la langue dans toutes ses implications linguistiques (registre, etc.) et sociales. Mais comment distinguer le bon grain de l’ivraie ? À mon avis, les critères pourraient être (ce sont les miens) les suivants :
1. Les mots qui existent déjà depuis longtemps et qui s’emploient dans un sens différent des sens présents dans le dictionnaire ne devraient être condamnés que s’ils sont réellement superflus ; dans le cas contraire, lorsqu’ils permettent à la langue de s’enrichir de possibilités d’expression, ils devraient être considérés comme féconds (voir signalement, dans le sens de « action de signaler ou chose signalée »).
2. Lorsqu’un mot entre dans l’usage, qu’il est bien formé (c’est-à-dire en harmonie avec la morphologie du français) et qu’il peut remplacer un xénisme inutile, il devrait être préféré à celui-ci (voir hameçonnage au lieu de phishing).
3. Si un mot étranger sans équivalent français devient d’usage courant, et s’il n’est pas trop en contraste avec la phonétique de la langue, il peut être accepté (c’est le cas de week-end, par exemple).
Mais j’aimerais insister sur un point : l’extension sémantique par métaphore, par métonymie, par tout ce qui fait fonctionner l’esprit humain. Quelques-uns d’entre vous condamnent le mot problème employé dans un sens autre que celui qu’on lui connaît en mathématiques, par exemple. Là, je trouve que cela n’est pas justifié : en latin déjà on l’utilisait dans le sens plus large d’« énigme, question » ; le glissement sémantique est naturel et il ne me paraît pas critiquable (il suffirait que l’Académie l’insérât dans son dictionnaire pour que tout le monde l’acceptât). En revanche, ce qui est sans aucun doute critiquable, c’est l’abus au sens d’usage continu, monotone, pauvre : dire « problème » tout le temps sans savoir utiliser d’autres termes.
J’ai l’impression que je m’égare… Ainsi, je préfère m’arrêter là, certain que vous contribuerez à l’approfondissement de cette réflexion, en vous citant un court extrait de Giacomo Leopardi, l’un des plus grands penseurs modernes (et poète sublime !) [dans ma traduction improvisée, ma foi...]. Il se réfère à la langue italienne, mais le discours vaut pour toutes les langues.
Pour bien comprendre les paroles de Leopardi, il faut savoir que c’était un innovateur (de goût classique mais ouvert aux possibilités de la langue), que les puristes de la Crusca, qui restaient fidèles principalement à la langue du XIVème siècle (celle de Pétrarque et de Boccace surtout), critiquaient… Aujourd’hui, c’est un monument de la littérature et c’est lui que l’on cite comme modèle de bon usage de la langue !La langue italienne a une infinité de mots mais surtout d’expressions que personne n’a encore employés. Elle se reproduit de façon illimitée en ses parties. Elle est comme toute recouverte de bourgeons, et par sa propre nature, elle est prête à produire de nouvelles manières de dire. Tous les classiques ou bons écrivains ont continuellement créé de nouvelles expressions. Le dictionnaire n’en contient qu’une part infime : et en vérité le langage d’un seul d’eux… constituerait en soi un dictionnaire. C’est pourquoi un dictionnaire qui comprendrait toutes les manières de dire… employées par les classiques italiens, … serait impossible. D’autant plus un dictionnaire qui comprendrait tous les autres mots ou expressions également bons qui ont été utilisés, ou que l’on peut utiliser à l’infini !... Déduisez de cela l’ignorance de ceux qui condamnent ce qu’ils ne trouvent pas dans le Dictionnaire.
![[sourire] :)](./images/smilies/icon_smile.gif)