Abus de faiblesse

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Anne
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Abus de faiblesse

Message par Anne »

L’ancien président de la République a été mis en examen jeudi à Bordeaux pour abus de faiblesse
Comme je ne suis pas très au courant de l'histoire qui précède cet évènement, j'ai mis un moment à comprendre que monsieur N. S. n'a pas abusé de sa propre faiblesse, mais de celle d'autrui.
Le parallèle avec l'« abus de pouvoir » m'a induite en erreur.

En y réfléchissant, je ne trouve rien à reprocher grammaticalement à cette formulation, mais je reste gênée par la cohabitation, sous la même forme, d'intitulés de délit comme « abus de pouvoir » ou « abus de biens sociaux », où l'abus est un usage excessif de quelque chose qu'on a en sa possession ou à sa disposition, et d'autres comme « abus de faiblesse », « abus de confiance », où l'objet de l'abus est extérieur à l'acteur.

Suis-je la seule que cette imprécision frappe ?
Dernière modification par Anne le ven. 22 mars 2013, 12:42, modifié 1 fois.
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Jacques
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Message par Jacques »

Ces termes nous viennent, pour la plupart, du langage juridique, qui a son jargon particulier. D'ailleurs en latin le mot était déjà du domaine juridique. L'abus de faiblesse, en droit, est clair : on abuse de la faiblesse morale ou mentale d'une personne. L'abus de pouvoir ne me semble pas venir de la langue du droit, c'est pourquoi le concept est inverse : celui qui détient le pouvoir l'utilise de façon outrancière, dans le même sens qu'on dit abus de tabac, d'alcool, de nourriture, de médicaments.... c'est-à-dire usage excessif. Dans abus de confiance, on trompe quelqu'un en abusant de sa confiance, comme pour abus de faiblesse, et nous retrouvons là le vrai sens de l'expression avoir été abusé, c'est-à-dire trompé.
Les médias utilisent depuis longtemps une formule fautive en disant « a été abusé(e) » en parlant d'une personne qui s'est fait violer. Si le criminel a bien abusé d'elle, il ne faut pas dire qu'elle a été abusée, l'expression ne peut pas être utilisée à la forme passive.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Il me semble en effet que l’on peut aussi bien abuser de son propre pouvoir que de la faiblesse d’autrui.
Jacques, je sais que vous préférez, et sans doute à juste titre, d’autres outils au Larousse, mais je suis obligé de constater que ce dernier atteste un emploi transitif du verbe « abuser », qu'il qualifie de littéraire.
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Jacques-André-Albert
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Message par Jacques-André-Albert »

Jacques a écrit :Les médias utilisent depuis longtemps une formule fautive en disant « a été abusé(e) » en parlant d'une personne qui s'est fait violer. Si le criminel a bien abusé d'elle, il ne faut pas dire qu'elle a été abusée, l'expression ne peut pas être utilisée à la forme passive.
Je pense que si, mais dans le sens où la personne a été trompée, sans plus.
Pour l'emploi intransitif du verbe, « Abuser de quelqu'un, user avec excès de sa complaisance, de sa bonté ou de sa naïveté » (Académie fr.), la forme passive n'est pas permise.
Quand bien nous pourrions estre sçavans du sçavoir d'autruy, au moins sages ne pouvons nous estre que de nostre propre sagesse.
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Jacques-André-Albert
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Re: Abus de faiblesse

Message par Jacques-André-Albert »

Anne a écrit :En y réfléchissant, je ne trouve rien à reprocher grammaticalement à cette formulation, mais je reste gênée par la cohabitation, sous la même forme, d'intitulés de délit comme « abus de pouvoir » ou
« abus de biens sociaux », où l'abus est un usage excessif de quelque chose qu'on a en sa possession ou à sa disposition, et d'autres comme « abus de faiblesse », « abus de confiance », où l'objet de l'abus est extérieur à l'acteur.
Pourtant les deux cas entrent dans la définition du verbe, telle qu'elle est donnée par l'Académie : « V. intr. Faire usage de quelque chose avec excès, sans mesure. Par ext. Tirer un profit excessif. »
On peut donc user avec excès de son propre pouvoir ou de la faiblesse d'autrui. Il faudrait, bien sûr, toujours préciser qu'il s'agit de la faiblesse d'autrui, puisqu'on peut imaginer que quelqu'un pourrait profiter de sa propre faiblesse pour agir malhonnêtement. Mais, comme dit Jacques, il s'agit d'une expression juridique, et en tant que telle, on ne peut la comprendre que dans un sens précis.
Quand bien nous pourrions estre sçavans du sçavoir d'autruy, au moins sages ne pouvons nous estre que de nostre propre sagesse.
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Jacques
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Message par Jacques »

André (Georges, Raymond) a écrit :Il me semble en effet que l’on peut aussi bien abuser de son propre pouvoir que de la faiblesse d’autrui.
Jacques, je sais que vous préférez, et sans doute à juste titre, d’autres outils au Larousse, mais je suis obligé de constater que ce dernier atteste un emploi transitif du verbe « abuser », qu'il qualifie de littéraire.
Vous devez confondre. Je me réfère au Robert, au Larousse et à l'Académie, tout en reconnaissant, et je ne suis pas le seul, que les deux premiers, par démagogie commerciale, acceptent des tournures impropres. Je ne m'arrête d'ailleurs pas là, je consulte aussi le Hachette, et plusieurs livres sur les difficultés du français. Ensuite, il faut faire un tri. C'est surtout le TLFi que je rejette.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
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Jacques
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Message par Jacques »

Jacques-André-Albert a écrit :
Jacques a écrit :Les médias utilisent depuis longtemps une formule fautive en disant « a été abusé(e) » en parlant d'une personne qui s'est fait violer. Si le criminel a bien abusé d'elle, il ne faut pas dire qu'elle a été abusée, l'expression ne peut pas être utilisée à la forme passive.
Je pense que si, mais dans le sens où la personne a été trompée, sans plus.
Pour l'emploi intransitif du verbe, « Abuser de quelqu'un, user avec excès de sa complaisance, de sa bonté ou de sa naïveté » (Académie fr.), la forme passive n'est pas permise.
Non, ce n'est pas ce que je veux dire. Quand on nous dit que X... « a été abusé sexuellement », après qu'on nous eut rapporté qu'il ou elle avait été violé(e), c'est bien une impropriété pour ne pas dire un solécisme. Le verbe dans ce cas est transitif indirect.
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André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Jacques a bien précisé qu’il pensait au sens « violer » d’ « abuser » (de). Ma réaction a donc été trop rapide ! Pardonnez-moi, Jacques. Mais il est vrai aussi que je réagissais surtout aux derniers mots de votre intervention, qui excluaient un emploi du verbe à la voix passive. Quelqu’un peut parfaitement « être abusé », mais cela ne signifie pas qu’il soit violé.
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Jacques
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Message par Jacques »

Les excuses sont de trop. Il m'arrive bien aussi de mal interpréter une intervention, je crois que c'est un phénomène dont nous sommes tous victimes. Le langage écrit envahit notre vie quotidienne, et par saturation nous passons trop rapidement sur certaines données.
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Herdé76
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Message par Herdé76 »

Jacques a écrit :Ces termes nous viennent, pour la plupart, du langage juridique, qui a son jargon particulier. D'ailleurs en latin le mot était déjà du domaine juridique.
Exact, usus, fructus et abusus constituent le droit de propriété.
mais je pense que ces notions d'abus de faiblesse ou d'abus de biens sociaux sont des constructions et des concepts juridiques récents (il me semble)
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Jacques
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Message par Jacques »

Herdé76 a écrit : Je pense que ces notions d'abus de faiblesse ou d'abus de biens sociaux sont des constructions et des concepts juridiques récents (il me semble)
C'est aussi mon avis.
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André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Jacques a écrit :Vous devez confondre.
C'est vous qui êtes le mieux placé pour le savoir, bien sûr. Je me souviens avoir lu ici des critiques assez virulentes du Larousse, que je vous attribuais à tort.
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Anne
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Message par Anne »

Merci de vos réponses.
Jacques a écrit :Ces termes nous viennent, pour la plupart, du langage juridique, qui a son jargon particulier. D'ailleurs en latin le mot était déjà du domaine juridique. L'abus de faiblesse, en droit, est clair : on abuse de la faiblesse morale ou mentale d'une personne. L'abus de pouvoir ne me semble pas venir de la langue du droit, c'est pourquoi le concept est inverse : celui qui détient le pouvoir l'utilise de façon outrancière, dans le même sens qu'on dit abus de tabac, d'alcool, de nourriture, de médicaments.... c'est-à-dire usage excessif. Dans abus de confiance, on trompe quelqu'un en abusant de sa confiance, comme pour abus de faiblesse, et nous retrouvons là le vrai sens de l'expression avoir été abusé, c'est-à-dire trompé.
Je crois pourtant, sans en être sûre, que l'abus de pouvoir appartient au langage juridique au même titre que l'abus de faiblesse ; du moins, on le trouve dans cette définition, (avec pouvoirs au pluriel, d'ailleurs, je le note).

Je pensais que le jargon juridique exigeait une grande précision, je constate que ce n'est pas le cas (sans toutefois que ça m'empêche de dormir, rassurez-vous).
Dans l'abus de faiblesse, l'abus ne correspond pas entièrement à la définition donnée dans ce lien : « Littéralement le mot "abus" se réfère à l'usage excessif d'un droit ayant eu pour conséquence l'atteinte aux droits d'autrui. » Si le pouvoir dont on jouit donne des droits dont on ne doit pas abuser, la faiblesse d'autrui n'en donne aucun, elle.
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Jacques
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Message par Jacques »

Peut-être pas à tort, car j'ai déjà fait état de la prudence qu'il m'inspire, parce qu'il est prompt à encourager les mauvais usages dans de nombreux cas, afin de vendre. Si le client y trouve confirmation de ses erreurs, il est rassuré. Il achètera moins un dictionnaire qui lui dit qu'il se trompe.
Larousse se justifie en se posant comme témoin et rapporteur du langage et non conseiller du bon usage. C'est pourtant bien ce qu'il était à l'origine, dans l'esprit de son fondateur. La preuve : dans son dictionnaire des difficultés il met en garde contre des fautes qu'il admet sans vergogne dans son dictionnaire d'usage.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
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