Le texte ci-dessous a été publié dans par l’association Défense de la langue française. Il date vraisemblablement des années entre 1950 et 1960. Je ne pense pas l'avoir déjà rapporté ici. Le moteur de recherche ne trouve rien.
Quoi qu'il n soit, les personnes arrivées ces dernières années sur le forum n'en ont pas eu connaissance.
Un rayon cosmique indiscret nous a fait tenir cette lettre écrite par Cathos à sa cousine Magdelon, au paradis des Précieuses.
Ma chère Polyxène,
Je te veux entretenir aujourd’hui d’un sujet bien propre à te plaire, vu le furieux penchant que tu partages avec moi pour tout ce qui est du dernier nouveau.
C’est du langage français qu’il s’agit, ma chère. Sache donc qu’il fait peau neuve. Les beaux esprits maintenant ne cherchent plus leurs mots. Ils les font eux-mêmes en se livrant au jeu captivant de la dérivation.
On ne saurait imaginer recette plus admirable de simplicité. Tu prends, ma chère, un radical. Tu mets un préfixe devant, tu endimanches un ou plusieurs suffixes derrière, et voilà le mot nouveau qu’il te faut pour goûter l’ivresse de la création. C’est le fin du fin et je me demande comment nous avons pu nous accommoder des persécutions de Vaugelas et de ses pareils. Le beau mérite de ne se faire entendre qu’avec les mots qui ont leur gîte au dictionnaire ! Foin de tout cela ! Tout le bel air maintenant dérivationne à l’envi et les gazettes m’apportent chaque jour quelque adorable nouveau-né. Voici les derniers de ces anges, qui sont beaux à faire pâmer, je gage que tu en conviendras : anornalité, méticulosité, équitabilité, informatif, antipolluant. Je les collectionne pour toi, mais on brûle d’en faire soi-même. Tu vas voir.
Puisque tu demandes à ma plume d’épîtrer sur la matière actualitaire, je te vais chroniquer les dernières mondialités gazettables. L’honoration des lettres est de saison mais les auteurs compétitionnants s’attardent à un style du dernier bourgeois qui n’attractionne plus les beaux esprits néovaguistes. Au demeurant, personne, cette année, n’a été prigoncouré car la politique est entrée dans la mêlée littératurale tant et si bien qu’après le décernement guerdonnique, le lauréat se dut incontinent téléautodélaurer.
C’est que, ma chère, l’existence moderne est panpolitisée.
Par exemple, tous les mortels de France et de Barbarie sont à cette heure ardûment problémés par le projet organisationnel d’africanisatisation de l’Afrique qu’ils vont avoir à référender. Les inconditionnalistes néo institutionnalistes mènent la lutte bi-frontale contre les regroupés ex-fafistes et les ultranégotiationnistes. Tu vois bien qu’il serait impossible de s’y reconnaître sans un effort de créationnisme vocabularial.
Je ne te parle pas du Laos, furieusement crisé à cette heure par une mêlée imbrogliotique entre occidentophiles, antirebelles neutralistes et propékinistes prédissidents.
Tout cela, tu le vois, se peut raconter le plus joliment du monde avec les mots que l’on tire soi-même de son imaginative au lieu de les aller quérir dans le parler croulantesque de ton pauvre papa Gorgibus.
J’espère que, comme moi, tu vas donner terriblement dans l’admirable de cette mode nouvelle et que tu vas laisser ta plume enfanter à son tour des millions de mots.
Paul CAMUS
(fondateur de l’association)
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- Jacques
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Les six premières lignes sont plus plaisantes que la suite.
Mais on peut aussi jargonner en n'employant qu'un minimum de termes savants. J'ai entendu ceci sur France Info ce jour à 6 h 57 (je les collectionne sur mon petit blog) :
" La marche (à pied) est la boîte de vitesses de la ville multimodale "
Mais on peut aussi jargonner en n'employant qu'un minimum de termes savants. J'ai entendu ceci sur France Info ce jour à 6 h 57 (je les collectionne sur mon petit blog) :
" La marche (à pied) est la boîte de vitesses de la ville multimodale "