Reprise de "quand" par "que"

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André (G., R.)
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Reprise de "quand" par "que"

Message par André (G., R.) »

Avez-vous entendu parler d'une hostilité de certains grammairiens à cette reprise ? Il semblerait que d'aucuns condamnent la phrase de Proust "Quand on se voit au bord de l'abîme et qu'il semble que Dieu vous ait abandonné, on n'hésite plus à attendre de lui un miracle" (Albertine disparue).
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Jacques
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Message par Jacques »

Je suis perplexe. Dans cette phrase, le que élidé ne peut pas être remplacé par autre chose.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Je suis de votre avis. Dans Encyclopédie capricieuse du tout et du rien, Charles Dantzig écrit «Les grammairiens, on ne sait par quelle logique, interdisent le "que" explétif de "quand"» et cite la phrase de Proust. Je qualifierais d'ailleurs peut-être ce "que" de semi-explétif, mais la question de son acceptation, qui ne me gêne pas, reste posée.
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Jacques
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Message par Jacques »

Girodet dit ceci :
Si je suis malade, et qu'il n'y ait personne pour me remplacer... Toute conjonction de subordination peut être remplacée par que pour éviter la répétition. La répétition produit un effet stylistique d'insistance : Si je suis malade, si personne ne peut me remplacer, s'il y a un travail urgent à faire, alors que se passera-t-il ?
Dans ce domaine comme dans bien d'autres, il existe de nos jours des « réformateurs » qui veulent bouleverser les principes acquis, souvent dans un sens loufoque. Je les considère comme les Picasso de la grammaire. Ces gens n'ont pas la rigueur de pensée qui sied à toute discipline sérieuse.
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André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Jacques a écrit :Si je suis malade, et qu'il n'y ait personne pour me remplacer
Cette phrase est intéressante par le subjonctif qu'elle utilise après qu'. Il semblerait qu'il y ait polémique sur ce point, l'indicatif se trouvant à peu près aussi souvent en pareille circonstance.
J'aurais tendance à accepter les deux. Lorsque le verbe après "si" est à l'imparfait, l'indicatif dans la deuxième subordonnée (Si j'étais malade et qu'il n'y avait personne...) me paraît plus naturel (à tort ?) que le subjonctif (et qu'il n'y eût personne...). Et je verrais facilement une légère différence entre les deux modes, le subjonctif rendant plus hypothétique le sens du verbe.
Dernière modification par André (G., R.) le lun. 23 déc. 2013, 7:18, modifié 1 fois.
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Jacques
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Message par Jacques »

Je vois les deux comme corrects. La nuance, s'il y a lieu d'en établir une, est celle qui existe normalement entre les deux modes ; indicatif celui de l'affirmation, de la situation vécue, établie, et subjonctif celui de l'éventualité, d'une probabilité, d'une incertitude. Est-elle bien perceptible ici ?
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Klausinski
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Message par Klausinski »

Girodet (encore lui) dit justement ceci : « Quand que remplace un second si, le verbe qui suit se met au subjonctif ». C'est conforme à ce que j'ai appris : l'emploi de l'indicatif est une faute de français, mais une faute particulièrement méconnue, encore plus que celle consistant à employer le subjonctif après après que.
Quant à l'affirmation de Charles Dantzig, elle m'étonne. Il devrait citer ses sources. J'ai cherché dans mes grammaires et sur Google livre et n'ai trouvé aucune trace de critique à l'égard de cet emploi de « que ».
« J’écris autrement que je ne parle, je parle autrement que je ne pense, je pense autrement que je ne devrais penser, et ainsi jusqu’au plus profond de l’obscurité. »
(Kafka, cité par Mauriac)
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Jacques
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Message par Jacques »

Alors c'est tranché : le subjonctif est obligatoire.
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André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

C'est noté.
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Je ne connais pas d'autre langue comportant l'équivalent de ce "que" reprenant une autre conjonction de subordination. Il serait intéressant de savoir quand il est apparu en français et, davantage encore, de connaître les origines de la règle voulant qu'il provoque un changement de mode en remplacement de "si" alors que ce n'est pas le cas quand il se substitue à "parce que", "quand", "lorsque"... J'essaie de m'informer de cela de mon côté. Mais je crains que ce soit difficile, le Robert en six volumes, que je viens de consulter, s'en tenant par exemple, comme Girodet, à l'énoncé de la règle :

REM. 1. Dans le cas où que remplace si, il est toujours suivi du subjonctif. "Si elle regardait et qu'il ne fût pas là, elle en était toute triste" (ZOLA, Le rêve, p. 129).
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Jacques
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Message par Jacques »

D'après la Grammaire du français contemporain, « À partir du XVIe siècle, la conjonction que introduisait la seconde subordonnée, comme cela se produisait pour les autres subordonnées construites en reprise »... « À l'origine, la seconde subordonnée, comportant un subjonctif à valeur hypothétique, s'accrochait librement à la première proposition introduite par si. Ce si suffisait à marquer l'hypothèse.
D'où nous pouvons, je crois, déduire que la construction devait se présenter ainsi : Si cela vous tente, et en eussiez-vous le temps, vous pourriez venir assister au spectacle. À moins que je n'interprète mal.
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Islwyn
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Message par Islwyn »

Jacques a écrit :D'après la Grammaire du français contemporain, « À partir du XVIe siècle, la conjonction que introduisait la seconde subordonnée, comme cela se produisait pour les autres subordonnées construites en reprise »...
Cela est si vrai que l'absence de que conjonction de reprise dans la coordination nous surprend :
« Quand Dieu frappe l'oreille, et l'oreille n'est prête
D'aller toucher au cœur, Dieu nous frappe à la teste »
(D'Aubigné, Les Tragiques, VI 69)
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Jacques
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Message par Jacques »

C'est une syntaxe déroutante quand on n'y est pas habitué. Mais ce n'est pas le cas grammatical dont nous discutons, qui se présente ainsi : subordonnée à l'indicatif + subordonnée au subjonctif + principale. Soit, par exemple : Si vous le rencontrez et ayez l'intention de l'aborder, demandez-lui son adresse.
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André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Jacques a écrit :« À l'origine, la seconde subordonnée, comportant un subjonctif à valeur hypothétique, s'accrochait librement à la première proposition introduite par si. Ce si suffisait à marquer l'hypothèse.»
D'où nous pouvons, je crois, déduire que la construction devait se présenter ainsi : Si cela vous tente, et en eussiez-vous le temps, vous pourriez venir assister au spectacle. À moins que je n'interprète mal.
Merci à vous, Jacques : voilà sans doute la clé de l'énigme, "que" remplaçant "si" n'a probablement pas exactement la même valeur, en tout cas pas la même histoire que cette même conjonction se substituant à "quand", à l'origine on ne l'utilisait tout simplement pas. Votre phrase commençant par "Si cela vous tente, et en eussiez-vous le temps..." me paraît pertinente, je serais fort surpris que votre interprétation soit réfutée, elle s'inscrit parfaitement dans la ligne des explications de la Grammaire du français contemporain.
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Jacques
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Message par Jacques »

En somme, nous avons progressé dans notre enquête. Le présent sujet restera dans ma mémoire comme l'un des meilleurs dont nous eussions eu à débattre depuis la création du forum.
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