Quand ce qui s'entend n'est pas "audible"
Quand ce qui s'entend n'est pas "audible"
Je suis particulièrement choqué que des gens réagissent à des déclarations en affirmant avec plus ou moins d'indignation qu'elles ne sont pas "audibles". Si elles ne l'étaient pas, comment en ont-elles pris connaissance ?
Que vous semble de cet emploi figuré de l'adjectif audible ?
(La même évolution frappe aussi "visible" et "visibilité")
Que vous semble de cet emploi figuré de l'adjectif audible ?
(La même évolution frappe aussi "visible" et "visibilité")
En réalité, "(juste) pas audible" veut dire choquant, incompréhensible, insupportable idéologiquement ou moralement, comme "pas visible" veut dire impopulaire ou marginal.
Exemple en charabia néofrançais médiatico-intellectuel :
Par rapport à la problématique de la peine de mort, votre parti est juste pas audible !
En français convenable, cela donnerait :
L'opinion de votre parti sur la peine de mort passe plutôt mal/est tout simplement choquante.
Exemple en charabia néofrançais médiatico-intellectuel :
Par rapport à la problématique de la peine de mort, votre parti est juste pas audible !
En français convenable, cela donnerait :
L'opinion de votre parti sur la peine de mort passe plutôt mal/est tout simplement choquante.
C'est parfois le cas. Le sens figuré d'audible en néo-français est assez flottant.Leclerc92 a écrit :Pour ma part, je comprendrais que les déclarations ne sont pas assez audibles, n'ont pas assez d'audience, ne sont pas assez nombreuses ou vigoureuses pour être véritablement entendues de l'ensemble des Français.
- Astragal
- Messages : 482
- Inscription : dim. 03 avr. 2016, 0:55
- Localisation : Près d’un champ de Marguerite
Dans le TLFi il y a une définition qui semble correspondre à ce sens.
3. Néol. Qui peut être entendu sans irriter le sens esthétique ou moral. Anton. inaudible :
5. Vous trouvez audibles ces essais de musique concrète ? Dub., 1967.
Rem. Cette dernière acception n'apparaît que dans Dub.
C’est très bien. J’aurai tout manqué, même ma mort. (Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac)
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- Messages : 1230
- Inscription : mar. 11 sept. 2012, 9:16
Cette discussion à propos de sons et lumières me remets en mémoire un député genevois au parlement fédéral.
Membre d'un parti tout ce qu'il y a de plus minoritaire et devenu inexistant (communiste) en Suisse, il a eu, si je me souviens bien, une vie parlementaire de vingt-quatre ans, ce qui est remarquable en Suisse où la durée de vie politique d'un député fédéral n’excède que très rarement douze ans et est, la plupart du temps, de huit ans.
Mais il était un orateur de première force et bien des électeurs d'un bord totalement opposé le rajoutait sur leur bulletin de vote*.
Après ce préambule, j'en arrive au sujet de la discussion. Lors de son allocution d'adieu au parlement il a eu cette très jolie phrase :
"Mes chers collègues, je vous remercie de m'avoir, tout au long de ces vingt-quatre années, toujours écouté, mais, malheureusement, rarement entendu".
* En Suisse, les élections se font à la proportionnelle et nous pouvons panacher un bulletin de vote (rajouter sur une liste le nom d'une ou plusieurs candidats d'une autre liste).
Membre d'un parti tout ce qu'il y a de plus minoritaire et devenu inexistant (communiste) en Suisse, il a eu, si je me souviens bien, une vie parlementaire de vingt-quatre ans, ce qui est remarquable en Suisse où la durée de vie politique d'un député fédéral n’excède que très rarement douze ans et est, la plupart du temps, de huit ans.
Mais il était un orateur de première force et bien des électeurs d'un bord totalement opposé le rajoutait sur leur bulletin de vote*.
Après ce préambule, j'en arrive au sujet de la discussion. Lors de son allocution d'adieu au parlement il a eu cette très jolie phrase :
"Mes chers collègues, je vous remercie de m'avoir, tout au long de ces vingt-quatre années, toujours écouté, mais, malheureusement, rarement entendu".
* En Suisse, les élections se font à la proportionnelle et nous pouvons panacher un bulletin de vote (rajouter sur une liste le nom d'une ou plusieurs candidats d'une autre liste).
C'est une jolie expression qui a été souvent employée en politique, sous cette forme ou des formes voisines :abgech a écrit :Après ce préambule, j'en arrive au sujet de la discussion. Lors de son allocution d'adieu au parlement il a eu cette très jolie phrase :
"Mes chers collègues, je vous remercie de m'avoir, tout au long de ces vingt-quatre années, toujours écouté, mais, malheureusement, rarement entendu".
En 1826, Nous l'avons souvent écouté, mais jamais entendu
ou ici : il fut donc souvent écouté -- mais jamais entendu.
Mirbeau : Et tel est le merveilleux mécanisme des sociétés politiques que voilà déjà plusieurs milliers d'années que les vœux sont toujours écoutés, jamais entendus, et que la machine tourne, tourne, sans la plus petite fêlure.
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- Messages : 7437
- Inscription : dim. 17 févr. 2013, 14:22
Pourtant le français du député laisse à désirer, me semble-t-il. Sa phrase signifie pour moi qu'il remercie ses collègues de l'avoir rarement entendu.abgech a écrit : "Mes chers collègues, je vous remercie de m'avoir, tout au long de ces vingt-quatre années, toujours écouté, mais, malheureusement, rarement entendu".
Peut-être est-il bon de rappeler, pour la bonne... compréhension du verbe entendre qu'il a signifié essentiellement comprendre jusqu'au dix-septième siècle. En attestent encore aujourd'hui (entre autres ?) « bien entendu » et l'expression comportant un nom apparenté « À bon entendeur, salut ».
Le rapport entre écouter et entendre, en français contemporain, est le même que celui entre regarder et voir. Qu'on me permette de raconter une scène dont j'ai été témoin avant-hier. Un aveugle me suivait sur un trottoir du dix-septième arrondissement parisien. Sa canne blanche touche le pied d'une femme, qui se fâche légèrement :
« Eh, je suis là !
– Excusez-moi, je suis aveugle, c'est ma canne. »
La femme s'énerve un peu plus : « Bon, vous voyez pas, mais vous pourriez regarder mes pieds, quand même ! »
Une autre personne aveugle à qui je donnais le bras et moi-même avons beaucoup ri.
- Perkele
- Messages : 12915
- Inscription : sam. 11 juin 2005, 18:26
- Localisation : Deuxième à droite après le feu
À ce propos, j'ai toujours eu du mal à trouver les mots pour exprimer :
- percevoir seulement des sons,
- être attentif aux sons que l'on perçoit,
- comprendre le sens des sons que l'on perçoit.
Si "écouter" convient à l'idée du milieu, "entendre" peut convenir aux deux autres. C'est très ennuyeux lorsqu'on veut trouver une formule marquante pour exprimer qu'on croit parfois avoir fait la troisième action en n'ayant fait que la première en réalité.
Du coup, je ne sais pas si je me suis bien fait comprendre.
- percevoir seulement des sons,
- être attentif aux sons que l'on perçoit,
- comprendre le sens des sons que l'on perçoit.
Si "écouter" convient à l'idée du milieu, "entendre" peut convenir aux deux autres. C'est très ennuyeux lorsqu'on veut trouver une formule marquante pour exprimer qu'on croit parfois avoir fait la troisième action en n'ayant fait que la première en réalité.
Du coup, je ne sais pas si je me suis bien fait comprendre.
Il faut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux.
Il est vrai que pour la parfaite logique de la phrase, on pourrait préférer :
"Mes chers collègues, je vous remercie de m'avoir, tout au long de ces vingt-quatre années, toujours écouté, mais je ne vous remercie pas de m'avoir, malheureusement, rarement entendu".
ou mieux :
"Mes chers collègues, vous m'avez, tout au long de ces vingt-quatre années, toujours écouté, ce dont je vous remercie, mais, malheureusement, rarement entendu".
Toutefois, j'avoue que la phrase originale ne m'a pas choqué et que je l'ai bien comprise : la souplesse de la langue me semble l'autoriser.
"Mes chers collègues, je vous remercie de m'avoir, tout au long de ces vingt-quatre années, toujours écouté, mais je ne vous remercie pas de m'avoir, malheureusement, rarement entendu".
ou mieux :
"Mes chers collègues, vous m'avez, tout au long de ces vingt-quatre années, toujours écouté, ce dont je vous remercie, mais, malheureusement, rarement entendu".
Toutefois, j'avoue que la phrase originale ne m'a pas choqué et que je l'ai bien comprise : la souplesse de la langue me semble l'autoriser.