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Quand ce qui s'entend n'est pas "audible"

Publié : dim. 24 juil. 2016, 10:20
par angeloï
Je suis particulièrement choqué que des gens réagissent à des déclarations en affirmant avec plus ou moins d'indignation qu'elles ne sont pas "audibles". Si elles ne l'étaient pas, comment en ont-elles pris connaissance ?

Que vous semble de cet emploi figuré de l'adjectif audible ?

(La même évolution frappe aussi "visible" et "visibilité")

Publié : dim. 24 juil. 2016, 11:46
par Claude
Ces gens veulent-ils dire que les déclarations ne méritent pas d'être entendues (non « écoutables ») ?

Publié : dim. 24 juil. 2016, 12:03
par Leclerc92
Pour ma part, je comprendrais que les déclarations ne sont pas assez audibles, n'ont pas assez d'audience, ne sont pas assez nombreuses ou vigoureuses pour être véritablement entendues de l'ensemble des Français.

Publié : dim. 24 juil. 2016, 12:29
par angeloï
En réalité, "(juste) pas audible" veut dire choquant, incompréhensible, insupportable idéologiquement ou moralement, comme "pas visible" veut dire impopulaire ou marginal.

Exemple en charabia néofrançais médiatico-intellectuel :

Par rapport à la problématique de la peine de mort, votre parti est juste pas audible !

En français convenable, cela donnerait :

L'opinion de votre parti sur la peine de mort passe plutôt mal/est tout simplement choquante.

Publié : dim. 24 juil. 2016, 12:42
par angeloï
Leclerc92 a écrit :Pour ma part, je comprendrais que les déclarations ne sont pas assez audibles, n'ont pas assez d'audience, ne sont pas assez nombreuses ou vigoureuses pour être véritablement entendues de l'ensemble des Français.
C'est parfois le cas. Le sens figuré d'audible en néo-français est assez flottant.

Publié : dim. 24 juil. 2016, 14:17
par Astragal
Dans le TLFi il y a une définition qui semble correspondre à ce sens.
3. Néol. Qui peut être entendu sans irriter le sens esthétique ou moral. Anton. inaudible :
5. Vous trouvez audibles ces essais de musique concrète ? Dub., 1967.
Rem. Cette dernière acception n'apparaît que dans Dub.

Publié : dim. 24 juil. 2016, 14:49
par jarnicoton
Et pour le sens de la vue, il y a les gens audibles ou non qui gagnent en "visibilité".

Publié : dim. 24 juil. 2016, 14:58
par Claude
À propos de visibilité, on ne dit plus je le vois mais je l'ai en visuel.

Publié : dim. 24 juil. 2016, 15:46
par Astragal
Affirmatif. Pourquoi faire simple alors qu'on peut faire compliqué, chef ?

Peut-être qu'il ne s'agit que d'une mode qui partira aussi vite qu'elle est apparue.

Publié : dim. 24 juil. 2016, 17:52
par abgech
Cette discussion à propos de sons et lumières me remets en mémoire un député genevois au parlement fédéral.

Membre d'un parti tout ce qu'il y a de plus minoritaire et devenu inexistant (communiste) en Suisse, il a eu, si je me souviens bien, une vie parlementaire de vingt-quatre ans, ce qui est remarquable en Suisse où la durée de vie politique d'un député fédéral n’excède que très rarement douze ans et est, la plupart du temps, de huit ans.

Mais il était un orateur de première force et bien des électeurs d'un bord totalement opposé le rajoutait sur leur bulletin de vote*.

Après ce préambule, j'en arrive au sujet de la discussion. Lors de son allocution d'adieu au parlement il a eu cette très jolie phrase :
"Mes chers collègues, je vous remercie de m'avoir, tout au long de ces vingt-quatre années, toujours écouté, mais, malheureusement, rarement entendu".


* En Suisse, les élections se font à la proportionnelle et nous pouvons panacher un bulletin de vote (rajouter sur une liste le nom d'une ou plusieurs candidats d'une autre liste).

Publié : dim. 24 juil. 2016, 20:43
par Leclerc92
abgech a écrit :Après ce préambule, j'en arrive au sujet de la discussion. Lors de son allocution d'adieu au parlement il a eu cette très jolie phrase :
"Mes chers collègues, je vous remercie de m'avoir, tout au long de ces vingt-quatre années, toujours écouté, mais, malheureusement, rarement entendu".
C'est une jolie expression qui a été souvent employée en politique, sous cette forme ou des formes voisines :
En 1826, Nous l'avons souvent écouté, mais jamais entendu
ou ici : il fut donc souvent écouté -- mais jamais entendu.
Mirbeau : Et tel est le merveilleux mécanisme des sociétés politiques que voilà déjà plusieurs milliers d'années que les vœux sont toujours écoutés, jamais entendus, et que la machine tourne, tourne, sans la plus petite fêlure.

Publié : dim. 24 juil. 2016, 20:53
par Claude
Il y a pire quand on n'est pas écouté, donc pas entendu ; je pense particulièrement aux parents. :wink:

Publié : lun. 25 juil. 2016, 8:33
par André (G., R.)
abgech a écrit : "Mes chers collègues, je vous remercie de m'avoir, tout au long de ces vingt-quatre années, toujours écouté, mais, malheureusement, rarement entendu".
Pourtant le français du député laisse à désirer, me semble-t-il. Sa phrase signifie pour moi qu'il remercie ses collègues de l'avoir rarement entendu.
Peut-être est-il bon de rappeler, pour la bonne... compréhension du verbe entendre qu'il a signifié essentiellement comprendre jusqu'au dix-septième siècle. En attestent encore aujourd'hui (entre autres ?) « bien entendu » et l'expression comportant un nom apparenté « À bon entendeur, salut ».

Le rapport entre écouter et entendre, en français contemporain, est le même que celui entre regarder et voir. Qu'on me permette de raconter une scène dont j'ai été témoin avant-hier. Un aveugle me suivait sur un trottoir du dix-septième arrondissement parisien. Sa canne blanche touche le pied d'une femme, qui se fâche légèrement :
« Eh, je suis là !
– Excusez-moi, je suis aveugle, c'est ma canne. »
La femme s'énerve un peu plus : « Bon, vous voyez pas, mais vous pourriez regarder mes pieds, quand même ! »
Une autre personne aveugle à qui je donnais le bras et moi-même avons beaucoup ri.

Publié : lun. 25 juil. 2016, 8:57
par Perkele
À ce propos, j'ai toujours eu du mal à trouver les mots pour exprimer :

- percevoir seulement des sons,

- être attentif aux sons que l'on perçoit,

- comprendre le sens des sons que l'on perçoit.

Si "écouter" convient à l'idée du milieu, "entendre" peut convenir aux deux autres. C'est très ennuyeux lorsqu'on veut trouver une formule marquante pour exprimer qu'on croit parfois avoir fait la troisième action en n'ayant fait que la première en réalité.

Du coup, je ne sais pas si je me suis bien fait comprendre.

Publié : lun. 25 juil. 2016, 9:06
par Leclerc92
Il est vrai que pour la parfaite logique de la phrase, on pourrait préférer :
"Mes chers collègues, je vous remercie de m'avoir, tout au long de ces vingt-quatre années, toujours écouté, mais je ne vous remercie pas de m'avoir, malheureusement, rarement entendu".
ou mieux :
"Mes chers collègues, vous m'avez, tout au long de ces vingt-quatre années, toujours écouté, ce dont je vous remercie, mais, malheureusement, rarement entendu".
Toutefois, j'avoue que la phrase originale ne m'a pas choqué et que je l'ai bien comprise : la souplesse de la langue me semble l'autoriser.