Rut et chaleur

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André (G., R.)
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Rut et chaleur

Message par André (G., R.) »

On lit ce titre dans un journal local :
Locquirec (29). Mordu et piétiné par un âne en chaleur
La chaleur, pour ce qui est de la sexualité animale, ne concerne que les femelles : les paysans que je connaissais dans les années cinquante et soixante n'auraient jamais commis cette erreur et leurs successeurs actuels ne la commettent sans doute pas non plus. Le mâle est en rut, mais ce mot semble faire peur ! Et je découvre qu'il peut se dire des deux sexes. Je pense toutefois que le Larousse est trop restrictif, à réserver l'expression « être en chaleur » aux « femelles d'animaux domestiques » (je mets ce dernier mot en gras). « Être en chasse » se dit apparemment aussi des deux sexes, alors que je le croyais réservé aux mâles.
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Leclerc92
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Message par Leclerc92 »

Vous avez raison, mais le TLFi remarque : Ce sens s'applique parfois au mâle, à un ensemble d'animaux. Il n'en donne pas d'exemple, mais je trouve dans un Cours élémentaire d'agriculture et d'économie rurale publié à Bruxelles en 1836 par un certain Raspail :
Pour faire entrer l'âne en chaleur avant de monter une jument, il faut d'abord lui montrer une ânesse, et quelquefois même on est obligé de recourir aux coups de bâton même en présence de l'ânesse. Quant à la jument, il est quelquefois nécessaire de lui mettre des lunettes, pour qu'elle ne voie pas l'âne-étalon, qu'elle refuserait opiniâtrément.
https://books.google.fr/books?id=dCoPAA ... &q&f=false

Vous avez aussi raison de noter que le mot "rut" fait un peu peur. Je ne sais pas pourquoi, mais je le trouve aussi assez désagréable, presque vulgaire, même si je sais bien qu'il ne l'est pas.
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Leclerc92 a écrit :
Pour faire entrer l'âne en chaleur avant de monter une jument, il faut d'abord lui montrer une ânesse
https://books.google.fr/books?id=dCoPAA ... &q&f=false
Le boute-en-train permet de détecter la chaleur de la jument avant la saillie par un autre étalon, celui que souhaite l'éleveur. On a dans votre citation, en quelque sorte, la situation inverse. Or le Larousse, pour ce même domaine, définit ainsi ledit boute-en-train : Mâle ou femelle traités aux androgènes, utilisés pour détecter les femelles en chaleur (juments par exemple.). J'ai mis en gras « ou femelle », qui m'étonne.
Bizarrement le Robert en six volumes s'en tient, pour « boute-en-train », à l'acception concernant les humains.
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Leclerc92 a écrit :Vous avez aussi raison de noter que le mot "rut" fait un peu peur. Je ne sais pas pourquoi, mais je le trouve aussi assez désagréable, presque vulgaire, même si je sais bien qu'il ne l'est pas.
Une chanson de 1980 pourrait y être pour quelque chose :
La Salsa du démon
(Horreur)
(Malheur)
(Aaaah)
Oui, je suis Belzébuth
(Horreur)
Je suis un bouc, je suis en rut
(Horreur, malheur)
Oui, oui, oui, je vis dans l'ordure
(Horreur)
Je pue la sueur et la luxure
...

Le malaise peut venir de l'emploi du mot pour la qualification d'un comportement humain.
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Jacques-André-Albert
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Message par Jacques-André-Albert »

Sans vouloir faire de l'analyse linguistique pour laquelle je n'ai aucune compétence, il me semble que les mots contenant le son U pourraient avoir un effet répulsif : rut, ordure, je pue la sueur et la luxure, auxquels on peut ajouter brute et abruti, des mots crus, le stupre, une moulinette, une ruade, l'urine, le cul, rude... mais ce n'est qu'un ressenti personnel et bien des mots contenant U ne provoque pas cet effet : la lune, du jus, du stuc, unir, une puce, une hure, une hune, un cube...
Quand bien nous pourrions estre sçavans du sçavoir d'autruy, au moins sages ne pouvons nous estre que de nostre propre sagesse.
(Montaigne - Essais, I, 24)
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Je crois qu'il est difficile de distinguer, dans la manière dont on ressent un mot, ce qui dépend de son sens et ce qui est lié à l'un ou à plusieurs de ses phonèmes.
À propos d'animaux : les paysans que je connaissais enfant parlaient d'une « taure amoeillante ». Il s'agissait d'une génisse pleine (gravide) toute proche du vêlage. L'expression standard correspondante, que je n'ai apprise que bien des années plus tard, est « génisse amouillante » pour une première gestation. À la mise-bas l'animal devient alors une vache, susceptible d'être à nouveau pleine, puis amouillante.
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Yeva Agetuya
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Message par Yeva Agetuya »

Mais "rut" signifie "rugissement".

https://fr.wiktionary.org/wiki/rut

Et donc ne serait-il pas logique de réserver ce terme aux animaux sauvages ?
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Perkele
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Message par Perkele »

Rut est de la famille de rugire, rugitus ; c'est la période du brame, soit du désir de s'accoupler. Il ne signifie pas le rugissement en soi.
Il faut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux.
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Le fait est que, comme vous, Yeva Agetuya, j'imagine spontanément davantage certains animaux que d'autres lorsque j'entends le mot. Pour le Larousse et le Robert, il concerne tous les mammifères. Quoi qu'il en soit, il ne me viendrait jamais à l'idée de parler de la chaleur d'un mâle. Je me demande si le léger malaise que provoque « rut » n'est pas du même ordre que ce qui fait dire non-voyant pour aveugle, restaurant pour cantine... sauf que l'euphémisme politiquement correct correspondant à « rut » n'a pas (encore ?) été trouvé.
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Claude
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Message par Claude »

En matière de rut, le premier animal auquel je pense est le cerf ; je ne dois pas être le seul.
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Perkele
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Message par Perkele »

Effectivement, petit Gaulois agité.
Il faut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux.
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Perkele
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Message par Perkele »

André (G., R.) a écrit :Le fait est que, comme vous, Yeva Agetuya, j'imagine spontanément davantage certains animaux que d'autres lorsque j'entends le mot. Pour le Larousse et le Robert, il concerne tous les mammifères. Quoi qu'il en soit, il ne me viendrait jamais à l'idée de parler de la chaleur d'un mâle. Je me demande si le léger malaise que provoque « rut » n'est pas du même ordre que ce qui fait dire non-voyant pour aveugle, restaurant pour cantine... sauf que l'euphémisme politiquement correct correspondant à « rut » n'a pas (encore ?) été trouvé.
Désir ?

Libido ?

Concupiscence ?

Flamme ?
Il faut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux.
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Leclerc92
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Message par Leclerc92 »

En fait, les deux usages relativement courants -- pour moi -- du mot "rut" sont : au sens propre en parlant du cerf, et au sens figuré et pas très propre, en parlant d'un homme ! C'est probablement cette dernière acception qui gâche un peu l'honorabilité du mot !
Cela dit, l'usage du mot "rut" paraît plus varié que je ne pensais.
Pour l'Académie (8e édition) et moi, il désignait simplement :
Désir de s'accoupler, en parlant des Cerfs et de quelques autres bêtes fauves. Les cerfs sont en rut. Quand les cerfs entrent en rut.
Mais pour le TLFi, je vois que cela s'applique aussi aux femelles :
A. − Le rut chez les mâles n'existe qu'autant que les femelles de la même espèce sont elles-mêmes en rut, on dit aussi en chaleur. Le rut des femelles correspond à l'œstrus (Villemin1975).
− En rut. Synon. en amour, en chaleur, en chasse (v. chasse1), en folie (v. folie1).Entrer en rut; biche, cerf, chevreuil en rut. La fièvre d'amour le minait (...). Il [le goupil] venait de croiser le sillage tout frais d'une femelle en rut (Pergaud, De Goupil, 1910, p. 54).V. supra ex. de Villemin.
Il ajoute cette précision :
Rem. ,,Le mot chaleur (être en chaleur) est souvent appliqué aux femelles. Ex.: biche, hase, chienne. Du sanglier, du loup et du renard on ne dit pas: ils entrent en rut, mais en chaleur`` (Duchartre 1973).
Enfin, ma plus grande surprise est de voir appliqué aux femmes ce que je croyais l'apanage des mâles humains :
B. − P. anal., fam., [À propos d'un être humain] Grande excitation sexuelle. Le rut qui montait d'elle, ainsi que d'une bête en folie, s'était épandu toujours davantage, emplissant la salle [de théâtre] (Zola, Nana, 1880, p. 1119).
− En rut. En proie à une grande excitation sexuelle. L'amant qui saura exactement de la femme de chambre les époques de sa maîtresse peut d'autant mieux dresser ses plans. Que serait-ce si Lisette disait indiscrètement: Venez, mademoiselle est en rut? (Michelet, Journal, 1857, p. 329).
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

On a là, en effet, quelques éléments étonnants. Bon, votre dernière citation commence par « P. anal., fam. » !
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Yeva Agetuya
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Message par Yeva Agetuya »

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