Une fois
-
- Messages : 7437
- Inscription : dim. 17 févr. 2013, 14:22
Une fois
J'ai déjà eu l'occasion de citer le petit livre d'Anne BOQUEL et Étienne KERN, Les plus jolies fautes de français de nos grands écrivains. Le feuilletant à nouveau, je me trouve sot de ne pas avoir compris lors de ma première lecture où les auteurs voulaient en venir lorsqu'ils citaient la phrase de Madame Bovary Enfin son mari, sachant qu'elle aimait à se promener en voiture, trouva un boc* d'occasion, qui, ayant une fois des lanternes neuves [...], ressembla presque à un tilbury. FLAUBERT aurait dû écrire : ... une fois qu'il eut des lanternes neuves...
* cabriolet
* cabriolet
- Jacques-André-Albert
- Messages : 4645
- Inscription : dim. 01 févr. 2009, 8:57
- Localisation : Niort
Croyez-vous qu'on puisse soupçonner Flaubert d'avoir laissé passer une faute, lui qui revenait sans cesse sur ses phrases et les lisait à haute voix dans son « gueuloir » ? Je crois plutôt à une syntaxe vieillie.
Je repense à une tournure qui m'avait frappé chez Balzac : « Tous ils avaient participé.. » (j’invente), là où la syntaxe moderne voudrait plutôt : « Ils avaient tous participé ».
Je repense à une tournure qui m'avait frappé chez Balzac : « Tous ils avaient participé.. » (j’invente), là où la syntaxe moderne voudrait plutôt : « Ils avaient tous participé ».
Quand bien nous pourrions estre sçavans du sçavoir d'autruy, au moins sages ne pouvons nous estre que de nostre propre sagesse.
(Montaigne - Essais, I, 24)
(Montaigne - Essais, I, 24)
C'est effectivement le cas. J'en ai trouvé de nombreux exemples dans des ouvrages jusqu'au XIXe siècle.Jacques-André-Albert a écrit :Croyez-vous qu'on puisse soupçonner Flaubert d'avoir laissé passer une faute, lui qui revenait sans cesse sur ses phrases et les lisait à haute voix dans son « gueuloir » ? Je crois plutôt à une syntaxe vieillie.
-
- Messages : 7437
- Inscription : dim. 17 févr. 2013, 14:22
Anne BOQUEL et Étienne KERN, tous deux agrégés de lettres, évoquent justement le « gueuloir » de FLAUBERT dans le passage le concernant*, que je cite maintenant in extenso :
L'admiration qu'on voue à Flaubert n'a d'égale que l'acharnement de ses détracteurs à contester la justesse et l'élégance de son style. Au début du XXe siècle, une violente querelle, lancée par un article intitulé « Flaubert savait-il écrire ? », a déchaîné les passions, et certains sont allés, avec une étonnante mauvaise foi, jusqu'à dresser des sottisiers flaubertiens. Toujours est-il qu'on peut s'étonner que les formules suivantes, extraites de Madame Bovary, aient passé avec succès la fameuse épreuve du « gueuloir » :
C'était le curé de son village qui lui avait commencé le latin [...].
Enfin son mari, sachant qu'elle aimait à se promener en voiture, trouva un boc d'occasion, qui, ayant une fois des lanternes neuves [...], ressembla presque à un tilbury.
La dorure du baromètre, sur qui frappait un rayon de soleil, étalait des feux dans la glace [...].
Par moments ils s'échangeaient une parole.
Autant que je m'en souvienne, je n'ai jamais rencontré « une fois » utilisé de cette manière, et je me l'interdis. Je crois véritablement que même les plus grands sont susceptibles d'être pris en défaut.
* Pages 91 et 92.
L'admiration qu'on voue à Flaubert n'a d'égale que l'acharnement de ses détracteurs à contester la justesse et l'élégance de son style. Au début du XXe siècle, une violente querelle, lancée par un article intitulé « Flaubert savait-il écrire ? », a déchaîné les passions, et certains sont allés, avec une étonnante mauvaise foi, jusqu'à dresser des sottisiers flaubertiens. Toujours est-il qu'on peut s'étonner que les formules suivantes, extraites de Madame Bovary, aient passé avec succès la fameuse épreuve du « gueuloir » :
C'était le curé de son village qui lui avait commencé le latin [...].
Enfin son mari, sachant qu'elle aimait à se promener en voiture, trouva un boc d'occasion, qui, ayant une fois des lanternes neuves [...], ressembla presque à un tilbury.
La dorure du baromètre, sur qui frappait un rayon de soleil, étalait des feux dans la glace [...].
Par moments ils s'échangeaient une parole.
Autant que je m'en souvienne, je n'ai jamais rencontré « une fois » utilisé de cette manière, et je me l'interdis. Je crois véritablement que même les plus grands sont susceptibles d'être pris en défaut.
* Pages 91 et 92.
-
- Messages : 7437
- Inscription : dim. 17 févr. 2013, 14:22
Soit la phrase Une fois que j'aurai payé mon loyer, il ne me restera pas grand-chose. On la raccourcit facilement ainsi : Une fois mon loyer payé,... ou : Mon loyer une fois payé,...
FLAUBERT voulait probablement utiliser un raccourci comparable, à partir de : ... un boc d'occasion, qui, une fois qu'il eut des lanternes neuves [...], ressembla presque à un tilbury. Mais il ne s'est pas rendu compte que « ayant une fois des lanternes neuves » avait un autre sens, celui de « ayant à un moment donné des lanternes neuves », et pouvait être complété par « , une autre fois non » ou « , [ayant] une autre fois des roues neuves » :
... un boc d'occasion, qui, ayant une fois des lanternes neuves, une autre fois des roues neuves, ressemblait à...
Il me semble que « une fois », pour qu'il vaille (approximativement) « après que » et abrège « une fois que », doit précéder l'éventuel participe qui l'accompagne, et que ledit participe ne peut alors être que passé. « Payé une fois mon loyer, il ne me restera pas grand-chose », « Payé mon loyer une fois,... » ou « Ayant une fois payé mon loyer » ne me paraissent pas corrects en la circonstance.
FLAUBERT voulait probablement utiliser un raccourci comparable, à partir de : ... un boc d'occasion, qui, une fois qu'il eut des lanternes neuves [...], ressembla presque à un tilbury. Mais il ne s'est pas rendu compte que « ayant une fois des lanternes neuves » avait un autre sens, celui de « ayant à un moment donné des lanternes neuves », et pouvait être complété par « , une autre fois non » ou « , [ayant] une autre fois des roues neuves » :
... un boc d'occasion, qui, ayant une fois des lanternes neuves, une autre fois des roues neuves, ressemblait à...
Il me semble que « une fois », pour qu'il vaille (approximativement) « après que » et abrège « une fois que », doit précéder l'éventuel participe qui l'accompagne, et que ledit participe ne peut alors être que passé. « Payé une fois mon loyer, il ne me restera pas grand-chose », « Payé mon loyer une fois,... » ou « Ayant une fois payé mon loyer » ne me paraissent pas corrects en la circonstance.
Dernière modification par André (G., R.) le ven. 13 avr. 2018, 10:04, modifié 1 fois.
-
- Messages : 7437
- Inscription : dim. 17 févr. 2013, 14:22
![[rigole] :lol:](./images/smilies/icon_lol.gif)
En écrivant ce qui précède, je pensais justement à ce « une fois » wallon. Il vient très probablement de tournures néerlandaises comme Kom eens !, Viens donc ! Allez, viens ! Eens est vraisemblablement l'abréviation de eenmaal, une fois. Eenmal is geen maal, mot à mot Une fois n'est pas une fois, correspond à notre Une fois n'est pas coutume. L'équivalent allemand de eennmaal est einmal, abrégé, lui, en mal : Komm mal !, Viens donc !
J'ignore ce qu'il en est du correspondant néerlandais de notre « une fois (que) », mais figurez-vous que l'allemand emploie facilement des tournures du genre Einmal angekommen, mag man hier nicht mehr weg, Une fois arrivé, on n'a pas envie de repartir d'ici.
Dernière modification par André (G., R.) le ven. 13 avr. 2018, 10:33, modifié 1 fois.
Flaubert utilise une syntaxe vieillie mais correcte d'hier.
Lamartine :
Lamartine :
Fleury :Je commençai d'abord par ébranler leur confiance dans les Wahabi, leur disant qu'Abdalla était nécessairement devenu leur ennemi depuis qu'ils l'avaient abandonné au jour du dernier combat, et qu'il chercherait à s'en venger. Qu'en allant dans le Nedgde, ils se précipitaient volontairement sous la domination d'Ebn Sihoud, qui les écraserait de contributions, et chercherait à leur faire supporter tout le poids d'une guerre désastreuse. Qu'ayant une fois déserté sa cause et s'étant tirés de ses griffes, il ne fallait pas faire comme l'oiseau qui, échappé au fusil du chasseur, va tomber dans le filet de l'oiseleur.
[...]nos pères, les évêques catholiques, ayant une fois condamné en concile chaque hérésie, ont voulu que ce qu'il avaient décidé demeurât inébranlable, sans permettre qu'il fût remis en question.
- Jacques-André-Albert
- Messages : 4645
- Inscription : dim. 01 févr. 2009, 8:57
- Localisation : Niort
-
- Messages : 7437
- Inscription : dim. 17 févr. 2013, 14:22
https://books.google.fr/books?id=-_xCL0 ... &q&f=falseLes Romains, ayant une fois Hiéron pour allié et pour compagnon d'armes, s'emparèrent bientôt de plusieurs villes du domaine des Carthaginois; mais ils furent contraints, après plusieurs jours de siège, d'abandonner Adranon, place bien fortifiée, ainsi que Macella.
https://books.google.fr/books?id=Is8UAA ... &q&f=falsecar ayant une fois bien ce ton ut dans l'oreille, ou enfin sur un clavecin, sur un violon, ou sur un siflet, quelque voix, quelque cloche, quelque bruit qu'on entende, on trouvera tout d'un coup son unisson ou son octave au quart de ton près, & on décidera si c'est un si, un fa, un diese, un bemol, ou entre-deux à peu près.
https://books.google.fr/books?id=8DKFkn ... &q&f=falseil manda M. de Liancourt auprès de lui, avec ordre de conduire aussi sa femme ; et l'ayant une fois en son pouvoir, il l'emmena seule au siège de Chartres, avec la marquise de Villars , sa sœur
-
- Messages : 7437
- Inscription : dim. 17 févr. 2013, 14:22
Je ne sais pas si LITTRÉ aurait accepté tout cela. À l'entrée FOIS de son dictionnaire, on lit :
Une fois que, loc. conj. Dès que, aussitôt que. Une fois que je serai parti.
• Par ellipse. Une fois parti, je ne reviendrai plus.
• On dit dans le même sens : dès qu'une fois, lorsqu'une fois. Dès qu'une fois j'aurai le livre, je le lirai. Lorsqu'une fois il se met à raconter ses campagnes, il ne finit plus.
Dans ces dernières phrases, ce sont « dès que » et « lorsque » qui expriment, éventuellement, la non simultanéité. « Ayant une fois des lanternes neuves » comporte bien, pour le moins, l'ambiguïté dont j'ai parlé.
J'ai lu hier, je ne sais plus où, que la tournure « une fois que » avait été critiquée dés son apparition, au XVIIe ou au XVIIIe siècle, je crois. L'employer de manière elliptique n'arrange rien, je suppose, aux yeux des critiques. Et la suppression de l'élément marquant la non simultanéité, le participe passé, aggrave le cas. Très peu pour moi. Je remarque d'ailleurs que dans la phrase Lorsqu'une fois il se met à raconter ses campagnes, il ne finit plus, on est bien proche, pour « une fois », du sens « à un moment donné » : l'idée de non simultanéité contenue dans « une fois que » tend à s'y estomper.
Une fois que, loc. conj. Dès que, aussitôt que. Une fois que je serai parti.
• Par ellipse. Une fois parti, je ne reviendrai plus.
• On dit dans le même sens : dès qu'une fois, lorsqu'une fois. Dès qu'une fois j'aurai le livre, je le lirai. Lorsqu'une fois il se met à raconter ses campagnes, il ne finit plus.
Dans ces dernières phrases, ce sont « dès que » et « lorsque » qui expriment, éventuellement, la non simultanéité. « Ayant une fois des lanternes neuves » comporte bien, pour le moins, l'ambiguïté dont j'ai parlé.
J'ai lu hier, je ne sais plus où, que la tournure « une fois que » avait été critiquée dés son apparition, au XVIIe ou au XVIIIe siècle, je crois. L'employer de manière elliptique n'arrange rien, je suppose, aux yeux des critiques. Et la suppression de l'élément marquant la non simultanéité, le participe passé, aggrave le cas. Très peu pour moi. Je remarque d'ailleurs que dans la phrase Lorsqu'une fois il se met à raconter ses campagnes, il ne finit plus, on est bien proche, pour « une fois », du sens « à un moment donné » : l'idée de non simultanéité contenue dans « une fois que » tend à s'y estomper.
-
- Messages : 7437
- Inscription : dim. 17 févr. 2013, 14:22
Les auteurs verraient-ils une incorrection dans cette phrase de l'Académie : Une fois en mouvement, il ne s' arrête plus, qui n'a pas de participe passé ?André (G., R.) a écrit :J'ai insisté sur l'absence de participe passé dans la phrase de FLAUBERT ! Et c'est probablement l'élément essentiel qui conduit les auteurs que j'ai cités à y voir une incorrection.
-
- Messages : 7437
- Inscription : dim. 17 févr. 2013, 14:22
Je suis sûr que non ! Mais je ne les connais pas plus que vous !
Pour mon compte, j'ai déjà répondu à cette question :
Pour mon compte, j'ai déjà répondu à cette question :
André (G., R.) a écrit :Soit la phrase Une fois que j'aurai payé mon loyer, il ne me restera pas grand-chose.
Il me semble que « une fois », pour qu'il vaille (approximativement) « après que » et abrège « une fois que », doit précéder l'éventuel participe qui l'accompagne, et que ledit participe ne peut alors être que passé.