Constructions intéressantes dans Pêcheur d'Islande

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angeloï
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Constructions intéressantes dans Pêcheur d'Islande

Message par angeloï »

Un soir de pluie, ils étaient assis près l'un de l'autre dans la cheminée, et leur grand'mère Yvonne dormait en face d'eux.

Là où spontanément j'aurais écrit "l'un près de l'autre", Loti trouve une formule très heureuse et légère.

Et, les lettres finies de lire, Sylvestre timidement montrait la sienne à son grand ami, pour essayer de lui faire apprécier la main qui l'avait tracée.

J'ai d'abord cru à une erreur, mais "achever" et "finir", en tant que semi-auxiliaires, peuvent être suivis d'un verbe dont le sens est passif : la voiture est finie de roder*.

En général, on ne voyait pas loin autour de soi; à quelques centaines de mètres, tout paraissait finir en espèces d'épouvantes vagues, en crêtes blêmes qui se hérissaient, fermant la vue.

Cette phrase, qui décrit le début d'une tempête en mer, semble avoir donné du fil à retordre aux éditeurs car j'ai trouvé trois versions sur Gouueule livres : "épouvantes vagues", "épouvantés vagues" et "épouvantables vagues". Je penche pour "épouvantables", mais le livre que j'ai en main fait de "épouvantes" un nom et de "vagues" un adjectif...

*À l’approche du huitième anniversaire de ces actes criminels, les médias occidentaux préparent de nombreux dossiers pour discréditer les sceptiques. Selon un scénario bien rôdé, ces dossiers comparent la réflexion critique sur les attentats à la négation de la « solution finale » nazie. Vu sur la Toile... :)
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Claude
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Re: Constructions intéressantes dans Pêcheur d'Islande

Message par Claude »

angeloï a écrit :Un soir de pluie, ils étaient assis près l'un de l'autre dans la cheminée, et leur grand'mère Yvonne dormait en face d'eux....
J'ignorais que je m'exprimais comme Pierre Loti car il m'arrive d'employer cette expression, mais avec tout devant : ... tout près l'un de l'autre. Et je ne dois pas être le seul. :wink:
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angeloï
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Message par angeloï »

En réalité, "près" devant "l'un près de l'autre" est très fréquent lorsque "près" est précédé par "très", "tout" ou "fort" : il l'est bien moins lorsqu'il est seul, et c'est ce qui m'a frappé.

Ils sont assis tout près l'un de l'autre est banal.
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Claude
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Message par Claude »

Ah ! Je comprends.
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Jacques
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Message par Jacques »

J'aime bien ces deux tournures un peu hardies : près l'un de l'autre et les lettres finies de lire.
Évidemment, si l'on considère épouvantes comme un substantif et vagues comme adjectif, le sens est compréhensible. Mais l'épouvante peut-elle être vague ? La peur oui, mais l'épouvante est un sentiment intense qui se conçoit mal comme vague.
N'y aurait-il pas une coquille pour éprouvantes ?
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
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Jacques-André-Albert
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Message par Jacques-André-Albert »

Apparemment ce n'est pas une coquille : lisez plutôt ce qui suit
Le TLFI a écrit : Vieilli, emploi abs. (ou avec une détermination précisant la pers. qui éprouve l'épouvante). Sensations de frayeur. Madame de Campvallon se chargeait elle-même, avec des épouvantes qui la charmaient, de tenir ouverte une des portes-fenêtres du rez-de-chaussée (Feuillet, Camors, 1867, p. 334). Son cœur [de Jeanne] battait comme dans les épouvantes (Maupass., Une Vie, 1883, p. 169).
Je pense que des sensations de frayeur peuvent être vagues, comme d'autres sensations.
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Jacques
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Message par Jacques »

Confirmation donc. Mais comme j'ai écrit, je doute qu'une épouvante puisse être vague, car c'est un sentiment puissant.
Si haut qu'on soit placé, on n'est jamais assis que sur son cul (MONTAIGNE).
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angeloï
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Message par angeloï »

En général, on ne voyait pas loin autour de soi; à quelques centaines de mètres, tout paraissait finir en espèces d'épouvantes vagues, en crêtes blêmes qui se hérissaient, fermant la vue.

Des épouvantes qui sont vagues, c'est bizarre en effet, mais voyez le contexte : "on ne voyait pas loin", "paraissait" "espèces" et "blêmes" donnent tous une impression de flou, sans parler de "finir" : ce qui finit n'est pas très net, c'est un état limite qui peut exciter l'imagination--et l'épouvanter--par un manque de netteté évocateur.

Finalement je trouve que le choix de mots de Loti est excellent (j'allais dire "génial"), sauf qu'il détonne par rapport à "crêtes blêmes", où on trouve un substantif concret et non un sentiment, encore que l'on pourrait excuser notre auteur en expliquant que "épouvante" veut dire "une chose qui provoque l'épouvante" (comme dans le cas du mot "horreur"), Ce serait une métonymie.
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Claude
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Message par Claude »

angeloï a écrit :...en espèces d'épouvantes vagues, en crêtes blêmes ...
Nous trouvons deux fois et successivement un nom suivi d'un adjectif ; cela ne pourrait-il pas justifier d'épouvantes vagues ?
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angeloï
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Message par angeloï »

Oui, c'est un indice qui ne trompe pas.
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