la tournure optative "fasse que"

Répondre
Avatar de l’utilisateur
Leclerc92
Messages : 5696
Inscription : jeu. 29 nov. 2012, 17:06

la tournure optative "fasse que"

Message par Leclerc92 »

Je lis de plus en plus souvent des phrases de ce genre :
Fasse que tous et toutes conservent cette belle amitié.
Nous leur souhaitons à tous une merveilleuse correspondance, fasse que l'expérience soit chaleureuse et constructive pour tous.

Il me semble qu'il manque quelque chose pour qu'elle soient correctes.
Le dictionnaire TLF donne ces exemples :
− [Pour exprimer un souhait] Dieu fasse que, fasse le ciel que... Fasse le ciel que la jeunesse d'aujourd'hui (...) se montre aussi sage qu'elle sera ardente (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène,t. 2, 1823, p. 52).Enfin, Dieu fasse que cela tourne bien! (Camus, Chev. Olmedo,1957, 2ejournée, 1, p. 754).
Là, Dieu ou le ciel sont sujets du verbe faire au subjonctif. Mais peut-on se passer de sujet ?
L'expression de Littré est ambiguë :
Fasse que ou fassent que, se dit par forme de souhait.
CORN., Pomp. v, 5: Fasse le juste ciel.... Que ces longs cris de joie étouffent vos soupirs
même si l'exemple de Corneille utilise aussi un sujet.
Peut-on laisser "fasse que" isolé dans la phrase, sans sujet ? Peut-il y avoir une ellipse de Dieu ou du ciel ?
Avatar de l’utilisateur
Perkele
Messages : 12918
Inscription : sam. 11 juin 2005, 18:26
Localisation : Deuxième à droite après le feu

Message par Perkele »

Il peut y avoir d'autres sujets : l'avenir, le sort, le destin, le hasard, la chance...

Mais comme vous le faites remarquer l'absence de sujet me semble incorrecte.
Il faut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux.
Avatar de l’utilisateur
Jacques-André-Albert
Messages : 4645
Inscription : dim. 01 févr. 2009, 8:57
Localisation : Niort

Message par Jacques-André-Albert »

À moi également.
Quand bien nous pourrions estre sçavans du sçavoir d'autruy, au moins sages ne pouvons nous estre que de nostre propre sagesse.
(Montaigne - Essais, I, 24)
André (G., R.)
Messages : 7437
Inscription : dim. 17 févr. 2013, 14:22

Message par André (G., R.) »

À moi pareillement. Ceux qui renoncent au sujet de « fasse » pourraient ne pas avoir compris que le nom qui le suit dans « fasse le ciel... » est précisément son sujet !
Je n'ai toutefois pas l'impression d'avoir rencontré aussi souvent que vous, Leclerc92, cette construction bancale.
Avatar de l’utilisateur
Leclerc92
Messages : 5696
Inscription : jeu. 29 nov. 2012, 17:06

Message par Leclerc92 »

Vous savez ce que c'est, une fois qu'on a repéré un tour qui agace, on le trouve partout !
Rien que dans la presse récente :
Corse matin, juin 2015 : "Fasse que je me trompe." (il est vrai que c'est dans le courrier des lecteurs).
Sud-Ouest, 11 septembre 2015 : "Fasse que l'ouvrage de Daniel Cohen éclaire notre classe politique !"
Le Temps, 4 septembre 2015 : "On y trouve le pasteur Etienne Dumont, arrivé à Paris en 1785 dans l’atelier intellectuel du comte de Mirabeau, écrivant ou corrigeant des discours du révolutionnaire français. Un fragment de sa fameuse harangue contre l’esclavage porte l’écriture du Genevois: «Ah, fasse que le génie tutélaire de l’humanité […], que cette religion de la liberté se répande sur toute la terre, qu’elle fasse trembler tous les imposteurs et qu’elle venge la nature humaine des impiétés de la tyrannie.»"
http://www.letemps.ch/suisse/2015/09/04 ... e-liberale
Ce dernier extrait, où la plume de Mirabeau avait trempé, avait tout pour me déstabiliser. Heureusement, en allant à la source, je vois que la citation est inexacte et que le "que" a été mal placé après "fasse". La version correcte est «Ah, fasse le génie tutélaire de l’humanité […], que cette religion de la liberté se répande sur toute la terre,[...]». C'est néanmoins un signe que l'épidémie s'étend même dans la presse suisse.
Si l'on jette un coup d’œil aux livres récents, voici quelques extraits :
"Sur la piste marquée de pollen fasse que je marche Avec des sauterelles à mes pieds fasse que je marche Avec la rosée à mes pieds fasse que je marche Avec la beauté fasse que je marche."
"Fasse que ma foi atteigne l'excellence de la Foi ; fasse que ma certitude soit la plus convaincue des certitudes ; fasse que mon intention soit la plus judicieuse des intentions ; et fasse que mes œuvres soient les plus utiles des œuvres."
"Fasse que la rame d'Océan Nous délivre d'eux pour toujours. Fasse que Terre rouge sang De son souffle nous embrase, enfin."
"Ô Seigneur, soutiens-moi dans cette noble et redoutable tâche ! Fasse que je réussisse."
"Fils du Père, fasse que tes frères à qui tu as tout pardonné, même ta mort horrible, retrouvent la sérénité et la paix. Fasse que les Ivoiriens et leurs frères qu'ils hébergent renouent avec..."
"Oh Seigneur, fasse que je vois, Je regarde autour de moi, Mais ce que je vois C'est l'horreur et la faim, La mort et la guerre, La souffrance des enfants, La misère, les pleurs... Seigneur, fasse que je vois, Oh Seigneur, fasse que je vois."

https://books.google.fr/books?id=q-AhAg ... 22&f=false
Bizarrement, tous ces livres sont plus ou moins des livres religieux écrits dans une langue assez peu orthodoxe, bourrée de fautes grossières. Les trois derniers extraits montrent bien que "fasse" y est utilisé comme impératif religieux, par suite d'une mauvaise interprétation : au lieu de "Dieu fasse que je réussisse", la phrase est devenue "Dieu, fasse que je réussisse".
Il est d'ailleurs possible que cet impératif d'exhortation, calqué sur le subjonctif, soit influencé par les verbes qui le connaissent encore : "sache, sois, aie, veuille".
Dernière modification par Leclerc92 le mer. 28 oct. 2015, 8:43, modifié 1 fois.
André (G., R.)
Messages : 7437
Inscription : dim. 17 févr. 2013, 14:22

Message par André (G., R.) »

Sauf erreur de ma part, ces citations comportent « fasse » dans deux emplois sans rapport l'un avec l'autre, mais aussi bancals l'un que l'autre.

Pour les unes il s'agit de la suppression du sujet (Dieu, le ciel...) d'un verbe au subjonctif (« Fasse que je me trompe ! » serait correct sous la forme « Fasse le ciel que je me trompe ! »)

Pour les autres, notre subjonctif est substitué abusivement à un impératif (« O Seigneur, fasse que je réussisse ! » doit être corrigé en « O Seigneur, fais que je réussisse ! ») Cette confusion pourrait être due à une extrapolation fantaisiste à partir de l'impératif de quatre verbes (être, avoir, savoir et vouloir) qui utilisent pour ce mode le radical du subjonctif (sois, aie, sache et veuille).

Enfant, j'entendais souvent mon père dire « Grand bien lui fasse ! » Cette expression, à la différence des formulations dénoncées ci-dessus, est correcte, mais souvent ironique. Le sujet de « fasse » y est sous-entendu et doit être cherché dans l'information qui vient d'être donnée sur une tierce personne :
« Paul, je viens d'apprendre que la voisine est enceinte.
— Grand bien lui fasse ! » (Que cela lui fasse grand bien !)
Avatar de l’utilisateur
Leclerc92
Messages : 5696
Inscription : jeu. 29 nov. 2012, 17:06

Message par Leclerc92 »

Un autre emploi étrange est celui que je lis dans cette phrase :
Ya ALLAH, Fasses Tu que la rencontre avec Toi, ne soit que Délices et extase, délivrance et félicité éternelles.
Je le crois fautif, même avec un trait d'union (fasses-tu que, fassiez-vous que) mais son allure "savante" finit par me faire douter.
Avatar de l’utilisateur
Perkele
Messages : 12918
Inscription : sam. 11 juin 2005, 18:26
Localisation : Deuxième à droite après le feu

Message par Perkele »

Il me semble que "fasse" a un sujet dans ces exemples :
"Fasse que la rame d'Océan Nous délivre d'eux pour toujours. Fasse que Terre rouge sang De son souffle nous embrase, enfin."
Seigneur, soutiens-moi dans cette noble et redoutable tâche ! Fasse que je réussisse."
"Fils du Père, fasse que tes frères à qui tu as tout pardonné, même ta mort horrible, retrouvent la sérénité et la paix. Fasse que les Ivoiriens et leurs frères qu'ils hébergent renouent avec..."
"Oh Seigneur, fasse que je vois, Je regarde autour de moi, Mais ce que je vois C'est l'horreur et la faim, La mort et la guerre, La souffrance des enfants, La misère, les pleurs... Seigneur, fasse que je vois, Oh Seigneur, fasse que je vois."
Il faut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux.
Avatar de l’utilisateur
Perkele
Messages : 12918
Inscription : sam. 11 juin 2005, 18:26
Localisation : Deuxième à droite après le feu

Message par Perkele »

André (G., R.) a écrit :Enfant, j'entendais souvent mon père dire « Grand bien lui fasse ! » Cette expression, à la différence des formulations dénoncées ci-dessus, est correcte, mais souvent ironique. Le sujet de « fasse » y est sous-entendu et doit être cherché dans l'information qui vient d'être donnée sur une tierce personne :
« Paul, je viens d'apprendre que la voisine est enceinte.
— Grand bien lui fasse ! » (Que cela lui fasse grand bien !)
Oui cette expression m'est également familière et me semble correcte.
Il faut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux.
Avatar de l’utilisateur
Leclerc92
Messages : 5696
Inscription : jeu. 29 nov. 2012, 17:06

Message par Leclerc92 »

Perkele a écrit :Il me semble que "fasse" a un sujet dans ces exemples :
"Fasse que la rame d'Océan Nous délivre d'eux pour toujours. Fasse que Terre rouge sang De son souffle nous embrase, enfin."
Seigneur, soutiens-moi dans cette noble et redoutable tâche ! Fasse que je réussisse."
"Fils du Père, fasse que tes frères à qui tu as tout pardonné, même ta mort horrible, retrouvent la sérénité et la paix. Fasse que les Ivoiriens et leurs frères qu'ils hébergent renouent avec..."
"Oh Seigneur, fasse que je vois, Je regarde autour de moi, Mais ce que je vois C'est l'horreur et la faim, La mort et la guerre, La souffrance des enfants, La misère, les pleurs... Seigneur, fasse que je vois, Oh Seigneur, fasse que je vois."
Je ne crois pas, Perkele. Ou plus exactement, s'il y a un sujet, ce n'est pas celui de "fasse".
Dans la première phrase, "la rame d'Océan" n'est pas sujet de "fasse", mais de "délivre".
Dans les trois dernières phrases, il y a un vocatif "Seigneur", et un impératif mal conjugué "fasse", comme le montrent l'absence d'article à "Seigneur" et la virgule qui le suit. Il y a une différence de structure entre :
"Oh Seigneur, fasse que je vois."
vocatif, virgule, impératif
et
"Oh, le Seigneur fasse que je vois."
sujet, subjonctif
André (G., R.)
Messages : 7437
Inscription : dim. 17 févr. 2013, 14:22

Message par André (G., R.) »

Leclerc92 a écrit :Un autre emploi étrange est celui que je lis dans cette phrase :
Ya ALLAH, Fasses Tu que la rencontre avec Toi, ne soit que Délices et extase, délivrance et félicité éternelles.
Je le crois fautif, même avec un trait d'union (fasses-tu que, fassiez-vous que) mais son allure "savante" finit par me faire douter.
« Fasses-tu... » (écrit ainsi) est plus délicat à traiter que ce que nous avons dénoncé. Je ne l'utiliserais pas, mais je crois constater qu'il serait fabriqué sur le modèle de « puisses-tu... », raccourci de « Je souhaite que tu puisses... ». En tout cas, il comporte un sujet. On peut toutefois à nouveau craindre une confusion avec l'impératif « veuille ».

« Ya Allah » comporte apparemment l'interjection arabe « ya » (ô !)

Pendant que je rédige ces mots, je constate que vous dites à Perkele ce que j'allais lui dire moi-même !
André (G., R.)
Messages : 7437
Inscription : dim. 17 févr. 2013, 14:22

Message par André (G., R.) »

Leclerc92 a écrit :"Oh Seigneur, fasse que je vois."
vocatif, virgule, impératif
et
"Oh, le Seigneur fasse que je vois."
sujet, subjonctif
Il nous faut relever l'indicatif erroné « vois ». On doit écrire « le Seigneur fasse que je voie ! » avec deux subjonctifs.
Avatar de l’utilisateur
Claude
Messages : 9173
Inscription : sam. 24 sept. 2005, 8:38
Localisation : Décédé le 24 août 2022. Humour et diplomatie. Il était notre archiviste en chef.

Message par Claude »

Merci André, vous avez raison ; j'ai fait le nécessaire pour qu'il ne reste aucune trace de ce qui concerne votre remarque.
Avatar : petit Gaulois agité (dixit Perkele)
André (G., R.)
Messages : 7437
Inscription : dim. 17 févr. 2013, 14:22

Message par André (G., R.) »

Leclerc92 a écrit :Il est d'ailleurs possible que cet impératif d'exhortation, calqué sur le subjonctif, soit influencé par les verbes qui le connaissent encore : "sache, sois, aie, veuille".
Je n'avais pas vu cette remarque lorsque j'ai parlé de ces mêmes verbes. Veuillez m'excuser.
Avatar de l’utilisateur
Leclerc92
Messages : 5696
Inscription : jeu. 29 nov. 2012, 17:06

Message par Leclerc92 »

Ce n'est pas grave puisque vous disiez ensuite la même chose ! Une confirmation indépendante n'est jamais mauvaise à prendre. :wink:
Répondre