Vous savez ce que c'est, une fois qu'on a repéré un tour qui agace, on le trouve partout !
Rien que dans la presse récente :
Corse matin, juin 2015 :
"Fasse que je me trompe." (il est vrai que c'est dans le courrier des lecteurs).
Sud-Ouest, 11 septembre 2015 :
"Fasse que l'ouvrage de Daniel Cohen éclaire notre classe politique !"
Le Temps, 4 septembre 2015 :
"On y trouve le pasteur Etienne Dumont, arrivé à Paris en 1785 dans l’atelier intellectuel du comte de Mirabeau, écrivant ou corrigeant des discours du révolutionnaire français. Un fragment de sa fameuse harangue contre l’esclavage porte l’écriture du Genevois: «Ah, fasse que le génie tutélaire de l’humanité […], que cette religion de la liberté se répande sur toute la terre, qu’elle fasse trembler tous les imposteurs et qu’elle venge la nature humaine des impiétés de la tyrannie.»"
http://www.letemps.ch/suisse/2015/09/04 ... e-liberale
Ce dernier extrait, où la plume de Mirabeau avait trempé, avait tout pour me déstabiliser. Heureusement, en allant à la source, je vois que la citation est inexacte et que le "que" a été mal placé après "fasse". La version correcte est «Ah,
fasse le génie tutélaire de l’humanité […], que cette religion de la liberté se répande sur toute la terre,[...]». C'est néanmoins un signe que l'épidémie s'étend même dans la presse suisse.
Si l'on jette un coup d’œil aux livres récents, voici quelques extraits :
"Sur la piste marquée de pollen fasse que je marche Avec des sauterelles à mes pieds fasse que je marche Avec la rosée à mes pieds fasse que je marche Avec la beauté fasse que je marche."
"Fasse que ma foi atteigne l'excellence de la Foi ; fasse que ma certitude soit la plus convaincue des certitudes ; fasse que mon intention soit la plus judicieuse des intentions ; et fasse que mes œuvres soient les plus utiles des œuvres."
"Fasse que la rame d'Océan Nous délivre d'eux pour toujours. Fasse que Terre rouge sang De son souffle nous embrase, enfin."
"Ô Seigneur, soutiens-moi dans cette noble et redoutable tâche ! Fasse que je réussisse."
"Fils du Père, fasse que tes frères à qui tu as tout pardonné, même ta mort horrible, retrouvent la sérénité et la paix. Fasse que les Ivoiriens et leurs frères qu'ils hébergent renouent avec..."
"Oh Seigneur, fasse que je vois, Je regarde autour de moi, Mais ce que je vois C'est l'horreur et la faim, La mort et la guerre, La souffrance des enfants, La misère, les pleurs... Seigneur, fasse que je vois, Oh Seigneur, fasse que je vois."
https://books.google.fr/books?id=q-AhAg ... 22&f=false
Bizarrement, tous ces livres sont plus ou moins des livres religieux écrits dans une langue assez peu orthodoxe, bourrée de fautes grossières. Les trois derniers extraits montrent bien que
"fasse" y est utilisé comme impératif religieux, par suite d'une mauvaise interprétation : au lieu de
"Dieu fasse que je réussisse", la phrase est devenue
"Dieu, fasse que je réussisse".
Il est d'ailleurs possible que cet impératif d'exhortation, calqué sur le subjonctif, soit influencé par les verbes qui le connaissent encore :
"sache, sois, aie, veuille".