Adjectifs substantivés

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Jacques
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Adjectifs substantivés

Message par Jacques »

Il me revient des souvenirs assez lointains, à propos des deux livres écrits par J.C., bien connnu des téléspectateurs de FR3. Je ne les ai plus, mais je repense à deux choses qui m’avaient frappé, et auxquelles j’avais adhéré sans réfléchir, confiant dans ses compétences que je considérais comme meilleures que les miennes.
Il fustigeait avec la dernière énergie l’emploi d’imaginaire en fonction de substantif : l’imaginaire collectif, notre imaginaire, etc. Pour lui c’était du détournement d’adjectif qui donnait dans le barbarisme. Le mot s’est implanté dans l’usage et, à bien considérer les faits, je me demande pourquoi on le mettrait à l’index. L’imagination, c’est autre chose : la faculté d’inventer des images ou des faits qui n’existent pas. L’imaginaire, c’est le monde non réel que notre imagination est capable de créer.
Il condamnait de même avec la plus grande vigueur l’utilisation, en substantif encore, de l’adjectif scientifique. Il y voyait encore un langage dévoyé. Pour lui on ne pouvait pas dire autre chose que les hommes de science. Sur ce modèle est également apparu plus tard le terme les politiques, qui l’aurait sans doute mis au bord de l’apoplexie s’il avait eu cours à l’époque. Il me semble que le fait est assez courant d’utiliser des adjectifs comme des substantifs, pour certains de façon occasionnelle, très passagère, et pour d’autres avec une fréquence qui les fait entrer au dictionnaire. On dira bien le sublime, le beau, le pratique, le sensuel et mille autres encore.
Qu’en pensez-vous ?
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shokin
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Message par shokin »

Il me semble aussi que cette "transformation" arrive souvent au fil du temps : des participes passés et des participes présents qui deviennent des adjectifs ; des adjectifs qui deviennent des substantifs.

On connaît entre autres le titre Le savant et le politique, de Max Weber, avec cette substantivation.

Il y a même des adverbes qui sont devenus des substantifs (ou est-ce l'inverse ?) : bien et mal ; fais le bien, fais-le mal.

Même question avec les "pronoms-substantifs" rien, personne et tout. Un rien, c'est déjà tout. Personne ne le niera en personne.

Tout cela me rapppelle le neutre pluriel latin traduit, en français, souvent par le substantif masculin singulier :

- verba : les paroles => la parole
- parva : les petites choses
- legenda : les choses qui doivent être lues => ce qui doit être lu
- omnia : toutes les choses => tout (pronom indéfini)

Tout comme les verbes n'en étant pas :

Errare humanum est. Se tromper est humain.
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Jacques
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Message par Jacques »

Errare humanum est se traduit habituellement par l'erreur est humaine.
Pour bien c 'est l'adverbe qui est devenu adjectif et nom commun. Pour mal c'est l'adjectif qui s'est substantivé, donc même cas que ceux évoqués au début.
Dernière modification par Jacques le lun. 29 juil. 2013, 20:42, modifié 1 fois.
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shokin
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Message par shokin »

Quoi qu'il en soit, ces évolutions me semblent "naturelles".

La substantivation a de beaux jours devant elle.
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Jacques
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Message par Jacques »

Oui, nous sommes d'accord, et après avoir longtemps accepté sans broncher l'avis de J. C. je me demande pourquoi il avait ce point de vue.
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André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Sur quels critères notre langue substantive-t-elle les adjectifs ?
Que pensez-vous de la phrase « Quand un ivre veut monter sur un vélo », que je viens de trouver en commentaire d'une vidéo ? (mots mis en gras par moi) Bien entendu, on pense à un ivrogne, mais un ivrogne peut ne pas être ivre. J'aurais parlé d'un homme ivre, sans avoir véritablement d'arguments pour condamner « un ivre », qui me gêne tout de même.
Certains adjectifs substantivés ont des emplois concrets (La belle était naïve, Ce vieux beau fait pitié), d'autres relèvent de l'abstraction : « le beau » est souvent synonyme de « la beauté », « le vrai » est proche de « la vérité »...

Un adjectif précédé d'un article, mais non suivi d'un nom, n'est pas forcément substantivé. Dans la phrase qui suit, on a en gras deux épithètes de substantifs sous-entendus (dont on fait l'ellipse) : J'ai deux voitures, j'utilise la vieille plus rarement que la neuve.
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Yeva Agetuya
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Message par Yeva Agetuya »

Ce doit être une question d'habitude de l'emploi.

On ne trouve rien à redire à : "Un affamé va son chemin."

Alors peut-être faudrait-il dire : "Un enivré monté sur un vélo"
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

La substantivation d' « affamé » semble acquise depuis longtemps, tandis qu'« enivré » ne figure pas dans les dictionnaires communs en tant que nom. Par ailleurs ces deux mots, quand bien même leur fonctionnement est identique à celui de l'adjectif qualificatif, sont des participes substantivés. D'ailleurs, « un enivré » me gêne à peu près autant qu'« un ivre »... sans que je sache mieux me justifier !
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Yeva Agetuya a écrit :Ce doit être une question d'habitude de l'emploi.
Effectivement. Et les dictionnaires entérinent l'usage. J'ai sans doute tort de chercher d'autres critères. Je pense aux tournures « une allumée de la pub », « des allumés d'informatique »..., dont le participe substantivé figure dans le Larousse au moins depuis 1996. Je me demande d'ailleurs si la langue actuelle ne substantive pas plus facilement des participes que des adjectifs qualificatifs.
Et ma gêne à propos d'« un ivre » vient simplement de ce que cela ne se dit généralement pas.
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Perkele
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Message par Perkele »

Avez-vous pensé à "imbriaque" ?
Il faut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux.
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Claude
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Message par Claude »

Celui-là convient parfaitement car il possède les deux natures, adjective et substantive.
Mais comment avez-vous fait pour le dénicher, je suis allergique à la poussière ?
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André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

:D
Perkele a écrit :Avez-vous pensé à "imbriaque" ?
Non, je découvre ce mot, à la fois adjectif et nom, ainsi que vous le dites, Claude, et dont on voit ici qu'il est en fait de la famille d'« ivre ». Par ailleurs je trouve intéressantes sous ce lien les explications concernant l'évolution de la voyelle initiale E vers IM.
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Perkele
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Message par Perkele »

En italien, nous avons ubriaco.

C'est souvent l'italien qui a contribué à me faire découvrir des mots français inusités.
Il faut faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux.
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Leclerc92
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Message par Leclerc92 »

L'italien avait aussi, et a conservé au moins dans certaines régions, imbriacato.
Me so' 'mbriacato de 'na donna
quanto è bbono l'odore della gonna
quanto è bbono l'odore der mare
http://lyricstranslate.com/fr/me-so-mbr ... -ivre.html
André (G., R.)
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Message par André (G., R.) »

Ce serait gentil de traduire.
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